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Le - 1990 – L’ancien patron du GIGN raconte Ouvéa

1990 – L’ancien patron du GIGN raconte Ouvéa

[ARCHIVE] Il y a trente ans, »l’affaire d’Ouvéa » secouait la classe politique entre les deux tours de la présidentielle.

Ouvéa. La petite île de l’archipel calédonien, pratiquement inconnue en métropole, est propulsée à la Une de l’actualité, le 22 avril 1988. Ce jour-là, au réveil, les Français apprennent que la gendarmerie de Fayaoué a été attaquée par un groupe de militants canaques. Les agresseurs ont emmené en otages vingt-six gendarmes, laissant les corps de quatre gendarmes, tués dans des conditions particulièrement horribles. Un certain nombre de détails macabres – dont la mutilation et même l’émasculation des cadavres – sont complaisamment rapportés.

Bernard Pons, alors ministre des DOM-TOM, stigmatise, avant de s’envoler pour la Nouvelle-Calédonie, cette « tuerie à coups de hache et de sabre d’abattis », donnant à ces assassinats une connotation « barbare » et « sauvage ». Ces deux mots seront repris par le Premier ministre, Jacques Chirac, et vont, dès lors, oblitérer le jugement et le comportement de tous les protagonistes de ce qui va rapidement devenir « l’affaire d’Ouvéa ». Les gendarmes ont été tués avec des armes à feu et les corps n’ont pas été mutilés, mais l’impression psychologique de barbarie restera attachée à ces assassinats.

En pleine élection présidentielle

A Paris, la bataille pour l’élection présidentielle bat son plein et le problème calédonien est au centre de l’affrontement droite-gauche. Le gouvernement Chirac a élaboré un nouveau statut pour le territoire – le quatrième en trois ans – qui prévoit des élections territoriales. Bernard Pons a décidé de coupler scrutins présidentiel et régional, ce qui est ressenti par le FLNKS comme une véritable provocation et va aboutir à la radicalisation de la frange la plus dure de l’organisation indépendantiste de Jean-Marie Tjibaou.

L’attaque de la gendarmerie de Fayaoué et ses conséquences vont en constituer l’épisode le plus sanglant, dramatisant les dernières semaines de la cohabitation, et précipitant Canaques et caldoches à deux doigts de la guerre civile. A la fermeté, maître mot du gouvernement, qui joue sa pérennité sur le maintien de l’ordre et la restitution des valeurs de la droite, le président de la République oppose le dialogue comme seule solution sur ce territoire qui « avance dans la nuit » et « se cogne aux murs », selon la définition qu’il en donne dans sa « Lettre à tous les Français ».

Retour sur "l'affaire d'Ouvéa" dans L'Express du 11 mai 1990.

Retour sur « l’affaire d’Ouvéa » dans L’Express du 11 mai 1990. L’Express 

L’échec du règlement pacifique

Pendant les quinze jours que durera cette prise d’otages, qui se terminera par l’assaut mené conjointement par un détachement du GIGN (Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale) et des forces spéciales – 11e choc et commando Hubert – un homme a été placé par les circonstances, au centre de l’affaire.  

A la fois acteur et observateur privilégié de ce drame. Philippe Legorjus, à l’époque commandant du GIGN, raconte pour la première fois ce que furent véritablement ces deux semaines tragiques. Il consacre plusieurs chapitres de son livre, La Morale et l’action (Fixot), au récit minutieux des négociations qui se sont déroulées dans l’ombre : rôle authentique tenu par les différents protagonistes de l’affaire, tractations secrètes qu’il a personnellement menées pour éviter le bain de sang.

Philippe Legorjus, dont la mission était de sauvegarder la vie des otages, a, jusqu’au dernier moment, tenté l’impossible pour régler pacifiquement cette affaire. Pas facile dans les circonstances politiques de l’époque. Legorjus s’y emploie donc à fond. Un temps prisonnier lui-même, il est le seul à dialoguer avec Alphonse Dianou, le chef des preneurs d’otages. Promu « médiateur », le voilà aussi dans le bureau qu’occupe Bernard Pons au Haut Commissariat de Nouméa. Il mène des négociations secrètes avec le FLNKS, prend l’initiative d’appeler lui-même l’Elysée. Le tout au milieu des doutes, des craintes, des découragements et des espoirs de ces quelques jours qui vont constituer le « moment central » de sa vie. « Mon corps et mon esprit y avaient été entraînés si loin que, tout en conservant ma lucidité, en l’aiguisant même comme elle ne l’avait jamais été, j’avais l’impression d’avoir franchi une limite de moi-même que je ne connaissais pas. » Enfin, le commandant Legorjus donne sa version sur les suites de « l’opération Victor » et la polémique déclenchée après l’assaut de la grotte, et dont le GIGN et lui-même seront les victimes longtemps silencieuses. […]

(L’Express du 11 mai 1990)

Archive choisie par la Documentation de L’Express

Sourcewww.lexpress.fr

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