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Le - Baisse du moral, suicides : le patron des gendarmes revient sur l’état de ses troupes

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Baisse du moral, suicides : le patron des gendarmes revient sur l’état de ses troupes

Richard Lizurey est le Directeur Général de la Gendarmerie Nationale depuis 2016.

Richard Lizurey est le Directeur Général de la Gendarmerie Nationale depuis 2016. | AURELIEN MORISSARD

Les gendarmes ont bonne réputation mais aussi du vague à l’âme : 62 % seulement d’entre eux se disent satisfaits et les suicides se multiplient dans leurs rangs.

Le général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale, fait le point sur l’état de ses troupes et sur les chantiers lancés pour améliorer l’environnement de travail des gendarmes.

Un récent rapport sénatorial dresse un constat alarmant de l’état des forces de sécurité intérieure. Qu’en est-il pour les gendarmes ?

La rédaction de ce rapport a été motivée par le taux de suicides élevé dans ces forces. Cette année, le nombre des suicides de gendarmes m’inquiète particulièrement : à mi-2018, on est à 20, ce qui constitue le chiffre le plus élevé depuis dix ans. L’an dernier, ce chiffre était de 14. Nous travaillons sur les causes et nous essayons de percevoir les déséquilibres personnels qui motivent le passage à l’acte, déséquilibres liés à des situations personnels et/ou professionnelles.

Nous travaillons aussi sur la typologie des suicidés : beaucoup d’entre eux, par exemple, sont en arrêts maladie fréquents au cours de l’année qui précède le passage à l’acte, d’où un effort en direction de cette population vulnérable. Et puis, majoritairement, les suicides interviennent dans les unités territoriales, pas chez les mobiles qui passent pourtant une grande partie de leur temps hors de chez eux ; mais ils forment des groupes où l’on s’épaule au quotidien.

Nous faisons aussi des efforts sur le management, l’encadrement et la concertation. 900 cadres ont été formés à l’écoute des autres et à l’interaction. En outre, je veux un commandement bienveillant, agile et éclairé, qui sanctionne si besoin mais qui explique. Je trouve que l’on sanctionne encore un peu trop en interne. Je veux aussi un commandement mobile, qui sort de la gendarmerie et passe du temps dans un autre ministère ou dans des entreprises. D’où la Mission Haut Potentiel récemment mise en place qui permet de suivre les carrières de certains jeunes officiers supérieurs.

Il y a d’autres points d’attention dont le ressenti de la population, la perception du travail des gendarmes… L’image du gendarme est plutôt bonne mais ça ne suffit pas. Le travail du gendarme n’est pas toujours connu ou compris. La population voit trop souvent seulement le côté répressif du gendarme.

Autre point d’attention : les moyens qui nous sont alloués.

Quels sont les besoins des gendarmes actuellement ?

Ce sont d’abord des moyens de travailler. Dans les 3 100 brigades territoriales (700 ont été dissoutes en dix ans), les 8 ou 9 gendarmes à l’effectif évoluent dans une circonscription qui est, en moyenne, aussi étendue que Paris intramuros. Donc, le premier élément dont chaque brigade a besoin, c’est un véhicule. D’où des efforts pour entretenir et renouveler le parc de véhicules. Il leur faut ensuite des moyens de communication : nous avons mis en place le programme NEO : 67 000 tablettes et smartphones sécurisés ont été distribués et chaque gendarme territoriale en est équipé. Les efforts dans le domaine du numérique portent aussi sur la dématérialisation des procédures pénales. Ce qui va considérablement alléger le travail des gendarmes à horizon 2022.

Les besoins portent aussi sur l’immobilier (locaux de service et logements), le tout devant être protégés et en état décent. Jusqu’à présent, nos locaux étaient ouverts ; désormais, suite à des attaques de brigades, on a renforcé la sécurité pour nos personnels, leurs familles et les usagers.

L’état des locaux de service et des logements reste par ailleurs préoccupant. Le parc locatif est de bon niveau, en meilleur état que le parc domanial. Les collectivités locales qui sont souvent les propriétaires font de remarquables efforts, tant de financement que d’entretien et je leur en suis extrêmement reconnaissant car ça contribue à la qualité de vie et de travail du gendarme.

Le général Lizurey a été très présent à Notre-Dame-des-Landes où 2 500 de ses gendarmes sont intervenus. | F. Dubray

Globalement, est-ce que le métier de gendarmes est encore attirant ?

Aujourd’hui, on est à quatre ou cinq candidats par poste offert dans les carrières de sous-officiers où il y a toujours une vraie appétence. On a davantage de difficultés avec les gendarmes adjoints volontaires où on est à moins de 1,7 candidat par poste. Mais c’est une population contractuelle, où il y a un turn-over important. Globalement, la gendarmerie reste attractive parce qu’il y a une exceptionnelle diversité de métiers. La police de la route, c’est 5 % de l’activité. Le gendarme est gendarme en brigade, en unité de recherches, en brigade motorisée, en peloton de montagne, en escadron de gendarmerie mobile. Il fait du renseignement, de la police judiciaire. Tous ces métiers font que chacun peut trouver ce qui l’intéresse. Et je ne parle pas des niches techniques…

En outre, il y a le contact avec la réalité et la vie quotidienne. Ce n’est pas une mission hors-sol, d’où l’importance du maillage des brigades territoriales et sa stabilisation. On est au contact et au service de la population. Quand on forme un gendarme, ce n’est pas pour l’éternité, pas pour la totalité des rencontres qu’il va avoir dans sa carrière. C’est un axe de travail sur lequel nous travaillons depuis deux ans : nous ne négligeons pas le savoir-faire mais nous privilégions le savoir être. Notre objectif, c’est d’avoir des gens qui sont dans le professionnalisme mais aussi dans l’empathie et dans l’altérité, dans la recherche de l’autre. Je veux des gendarmes qui aillent vers le concitoyen pour savoir de quoi il a besoin, pour faire des bilans avec lui, pour lui rendre compte aussi de leur propre activité. Ainsi, chaque maire a désormais un gendarme référent.

Les réservistes de la gendarmerie jouent-ils aussi un tel rôle ?

On a aujourd’hui 30 000 réservistes dont 10 000 sont des anciens gendarmes. Les 20 000 autres viennent de la société civile. Ils ne viennent pas chez nous par hasard ; ils sont engagés dans leur zone de vie, ils ont envie de participer à quelque chose, de faire partie de ce service public et de contribuer eux-mêmes à leur propre sécurité. Ce sont d’excellents relais qui nous remontent des informations sur la population et ses attentes.

Ils sont d’ailleurs nombreux sur le Tour de France, au sein des compagnies de réserve territoriale que nous déployons pour sécuriser les villages Départ et les villages Arrivée. Ce sont des unités qui totalement organisés par les réservistes locaux.

Avec le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur lors des opérations de Notre-Dame-des-Landes. | F. Dubray

Le bilan de Notre-Dame-des-Landes ?

Ce n’était pas une opération de maintien de l’ordre mais bien une opération de concours de la force publique. La première leçon que j’en tire, c’est qu’il faut éviter de laisser s’installer un abcès comme ça dans la durée. Deuxièmement, la préparation et planification ont été exemplaires. Il a fallu débroussailler des situations juridiques extrêmement diverses et complexes.

Dans la conduite, le rapport de forces a été déterminant : au début, 2 500 gendarmes contre 250 zadistes, ça faisait sourire, sur le mode « est-ce que vous allez y arriver ? ». N’empêche que sans ce rapport de forces, on n’aurait pas eu ce résultat, ça aurait été plus dur face à une population extrêmement volatile. On a quand même eu 120 blessés, mais pas de blessés graves heureusement.

Enfin, il faut prendre en compte la capacité à réunir sur place de nombreux acteurs : les escadrons de gendarmes, les secours avec le SDIS 44, la Sécurité civile, la DGSI pour le renseignement, deux procureurs de la République, la préfète… Tous ont contribué à l’efficacité de manœuvre, à la prise des bonnes décisions et au maintien dans la durée.

Source : www.ouest-france.fr

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