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Le - Chooz: des clandestins sur le chantier de la caserne de gendarmerie

Chooz: des clandestins sur le chantier de la caserne de gendarmerie

   MIS EN LIGNE LE 30/11/2019 À 10:21DANS CET ARTICLE

Un sans-papiers, qui a participé à la construction de la nouvelle gendarmerie au pied de la centrale nucléaire, dénonce les pratiques de son patron.

Des travailleurs clandestins ont œuvré dans certains logements de la caserne Beltrame.
Des travailleurs clandestins ont œuvré dans certains logements de la caserne Beltrame.

LECTURE ZEN

La nouvelle gendarmerie a été inaugurée le 15 novembre dernier et pourtant le chantier n’est pas entièrement achevé et recèle une part d’ombre. Selon plusieurs sources concordantes, des travailleurs clandestins ont contribué à la construction pourtant très cadrée des bâtiments. Ils étaient logés dans un petit appartement au confort spartiate à Givet, loué par leur recruteur, qui semble avoir oublié de régler les salaires de certains ouvriers. Ils dormaient sur des lits de camp, tous dans la même pièce. Si ces travailleurs sont arrivés dans les Ardennes, c’était pour mettre les bouchées doubles sur ce chantier qui a pris du retard par effet domino. L’une des entreprises a donc fait appel à ce sous-traitant qui lui a été recommandé. La société, elle-même victime des pratiques de ce patron douteux, se retrouve aujourd’hui dans la panade. Le sous-traitant a empoché l’argent en laissant le chantier en plan et des ouvriers à payer.

Parmi eux, Karim*, 37 ans, né à Alger. Il est sans-papiers et travaille dans le milieu du bâtiment depuis plus de 8 ans. Nous l‘avons rencontré et il affirme avoir récemment participé au chantier de construction de la caserne pour les gendarmes sécurisant la centrale nucléaire : le PSPG (peloton spécialisé de protection de la gendarmerie). L’homme a décidé de briser le silence pour que son histoire n’arrive pas à d’autres.

Il y a plus de 8 ans, il a tenté sa chance en France. « Mon père a fait ses études à Berlin, il est devenu ingénieur. Cela m’a donné envie de partir en Europe », confie-t-il. Mais ce n’est pas exactement la vie dont il rêvait. Il a connu les squats parisiens, s’est fait dérober son passeport et ses affaires et il a enchaîné les travaux pour des entreprises de construction pas très regardantes sur sa situation irrégulière.

Logés dans un appartement spartiate

Passant d’une société à l’autre, il s’est construit une expérience dans le bâtiment et ses contacts l’ont récemment mené à Chooz car le salaire était engageant : 130 € par jour pour un ouvrier qualifié. Selon lui, les simples ouvriers gagnent plutôt 80 euros, « On est venu me chercher à Paris. J’ai d’abord fait mes preuves durant quatre jours dans un appartement à Aubervilliers, en région parisienne, fin septembre. Et quand on a vu la qualité de mon travail, on m’a pris pour le chantier de la brigade à Chooz. » Dépêché par son patron dont le nom de la société reste obscur (et que nous n’avons pas réussi à contacter), Karim a débarqué un samedi dans les Ardennes et travaillé d’arrache-pied dans plusieurs futurs logements des gendarmes.

« J’ai fait de nombreuses tâches. On travaillait six jours sur sept », explique-t-il. Logé et nourri par le patron, l’homme a senti venir ce qui s’apparente à une escroquerie. « Déjà, je me doutais de quelque chose en arrivant sur le chantier. Je suis venu en tenue, avec des équipements, les autres étaient en baskets. » Quand il parle « des autres », il fait référence à au moins quatre travailleurs clandestins – dont trois Égyptiens – qui ont œuvré sur ce chantier dans d’étranges conditions propices aux malfaçons. « J’ai vu des pratiques inadmissibles, par exemple, de la colle diluée et coupée à l’eau pour économiser des pots… Ça ne va pas tenir, c’est sûr, ça va gonfler ! »

Mais c’est lorsqu’il a réclamé son salaire qu’il a compris qu’il s’était fait flouer. «  Je lui ai demandé à de nombreuses reprises, en plus d’un contrat qu’il m’avait promis mais je n’ai rien obtenu. Alors j’ai arrêté le travail. » Depuis mi-octobre, les relations se sont envenimées avec ce patron, injoignable car il change fréquemment de numéro de téléphone. Intimidations, menaces de mort, selon Karim, ceux qui veulent porter plainte reçoivent la visite de gros bras.

Mais ça ne l’effraie pas. Il entend ne pas se laisser faire, malgré le spectre de l’expulsion. « Si je porte plainte contre lui, je risque d’être expulsé. Si je ne le fais pas, il ne va pas me lâcher et va recommencer avec d’autres. Il faut qu’il passe devant la justice ! » Conscient du danger, il a d’ailleurs prévenu sa famille. « Mes parents iront déposer plainte en Algérie au cas où il m’arriverait quelque chose. »

RACHEL DEBRINCAT

ET JEAN-GODEFROY VAROQUAUX

* Prénom d’empruntLa commune de Chooz «apprend la nouvelle»

Maître d’ouvrage de ce chantier toujours en cours, la commune de Chooz, par la voix de son maire, Gérard Saint-Maxin, « apprend la nouvelle ». L’édile, découvrant la présence de ces travailleurs clandestins sur ce chantier, est entré dans une colère noire, répétant qu’il n’était « pas responsable des pratiques de certaines entreprises participant à la construction. Je ne m’occupe pas du chantier. Les entreprises ont été validées. Ce qui s’est passé après je n’en sais rien ! » Une chose est certaine, le chantier, qui devait s’achever à la fin de l’été, a pris un retard considérable avec notamment l’ajout de cinq pavillons supplémentaires. Et la municipalité entend appliquer scrupuleusement les pénalités pour le non-respect des délais de livraison.

Source : abonne.lardennais.fr

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