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Le - Faux passes sanitaires : « Il faut tenir le terrain face aux structures criminelles »

Faux passes sanitaires : « Il faut tenir le terrain face aux structures criminelles »

Entretien

Plus de 400 enquêtes judiciaires sont en cours pour remonter les filières de faux passes sanitaires. La colonelle de gendarmerie Fabienne Lopez, cheffe du centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N), raconte comment s’organise cette traque.

  • Recueilli par Hippolyte Radisson, 
  • le 06/01/2022 à 19:17 
  • Modifié le 06/01/2022 à 19:53
Faux passes sanitaires : « Il faut tenir le terrain face aux structures criminelles »
Le QR code d’un passe sanitaire lors d’un contrôle dans un bar, à Beauvais, en décembre 2021.MANON CRUZ/LE COURRIER PICARD/MAXPPP

La Croix : Gérald Darmanin a annoncé, mardi 4 janvier, que près de 200 000 faux passes sanitaires avaient été identifiés au 30 décembre 2021, avec 435 enquêtes judiciaires ouvertes. Quel est le point de départ de ces investigations ?

Fabienne Lopez : Souvent, ces faux passes sont générés par des pirates qui se sont introduits sur les sites professionnels de médecins ou pharmaciens, après avoir récupéré leur numéro d’identifiant, qui est public. Nous sommes alertés dès qu’un médecin porte plainte. Des praticiens peuvent aussi être eux-mêmes auteurs de faux passes ou avoir sciemment donné leurs codes à des pirates. La Sécurité sociale et le conseil de l’Ordre des médecins peuvent nous faire remonter un renseignement quand un nombre anormal de passes est généré par un médecin.

Les enquêtes sont coordonnées par l’Oclaesp (Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique). Il centralise toutes les informations sur les investigations menées par les différents services de gendarmerie et de police. La gendarmerie conduit actuellement 193 enquêtes, sur plus de 100 000 faux passes générés. Au C3N, centre de lutte contre les criminalités numériques, nous menons des enquêtes et intervenons en appui quand il y a des investigations en matière de cybercriminalité.

Quelles techniques d’investigation utilisez-vous ?

F. L. : Nous procédons à des enquêtes cyber classiques : à partir de la connexion, il faut remonter jusqu’à l’individu. Le phénomène est nouveau et fait des ravages. D’où la nécessité d’une investigation de masse : il faut tenir le terrain. Une partie de la population a choisi de se procurer illicitement des faux passes, elle se met en danger et met aussi en danger ceux qui ont choisi de respecter la loi.

En plus des plaintes, les gendarmes procèdent-ils aussi à des enquêtes d’initiative ?

F. L. : Oui, nous pouvons enquêter sous pseudonyme sur un réseau social afin de caractériser l’infraction en déclenchant l’achat de faux passes. L’enquête doit être validée par un parquet pour nous permettre de continuer à traiter le dossier.

Nous pouvons aller jusqu’à la transaction financière, puis procéder à une réquisition de l’opérateur Internet ou de téléphonie pour identifier l’individu. Il peut également y avoir un rendez-vous physique. Le travail en source ouverte (via des informations publiques) permet de comprendre qui est l’individu, son relationnel… C’est un travail de fourmi.

Les fournisseurs d’accès et les réseaux sociaux coopèrent-ils en communiquant ces éléments d’identification ?

F. L. : Certains opérateurs, parfois, ne coopèrent pas. Alors qu’ils devraient. C’est un sujet sur lequel nous travaillons de manière ardue. Au C3N, nous avions démarré sur trois dossiers. Il n’y a pas eu de retour de réquisitions sur les deux premiers. Dans ces cas-là, l’enquête ne peut être poursuivie : nous attendons de voir si nous trouvons d’autres éléments.

Habituellement, le C3N traite le haut du spectre de la cybercriminalité. Est-ce à dire que le trafic de faux passes relève de filières organisées ?

F. L. : Il s’agit de petites structures criminelles. Il peut y avoir l’individu qui génère les passes, associé à celui qui fait la publicité et à un autre qui revend. D’un point de vue cyber, ce n’est pas le haut du spectre. Mais c’est de la criminalité organisée, qui utilise le vecteur du Web pour commettre des infractions de masse en se rendant anonyme.

Les investigations sont longues et nécessitent souvent l’ouverture d’une information judiciaire. Il s’agit de démanteler des filières organisées, qui peuvent générer des milliers de faux passes, avec parfois plusieurs millions d’euros à la clé. Dans un dossier, il faut identifier les responsables mais aussi parvenir à retrouver tous les individus qui ont bénéficié de ces faux passes.

Source : www.la-croix.com

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