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Le - Le modèle de la gendarmerie française « a été exporté à l’étranger par vagues successives »

Le modèle de la gendarmerie française « a été exporté à l’étranger par vagues successives » (général Georges Philippot).

Le modèle de la gendarmerie française « a été exporté à l'étranger par vagues successives » (général Georges Philippot)« Le modèle de la gendarmerie française a été exporté à l’étranger de différentes manières, par vagues successives », indique le général Georges Philippot, président de la Société nationale de l’histoire et du patrimoine de la gendarmerie. Il présente à AEF Sécurité le colloque international d’histoire « Les gendarmeries dans le monde, de la révolution française à nos jours », qui a lieu les 13 et 14 juin 2013 à l’École militaire, à Paris. Il revient par ailleurs sur les dates clés de la gendarmerie française et estime que « l’intégration de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur a paradoxalement renforcé l’identité militaire des gendarmes ». Il souligne que « le rapport de force s’est modifié » entre policiers et gendarmes et que « la crainte a changé de camp, si crainte il y avait ».

AEF Sécurité globale : Quels sont les objectifs du colloque international d’histoire « Les gendarmeries dans le monde, de la révolution française à nos jours » ?

Georges Philippot : L’histoire de la gendarmerie n’a pas fait l’objet de recherches scientifiques historiques vraiment sérieuses jusqu’à récemment. Le service historique de la gendarmerie nationale n’a été créé qu’en 1997, ce qui nous a donné l’opportunité de développer la recherche historique. La direction générale de la gendarmerie a également signé en 2000 une convention avec l’université Paris-Sorbonne pour promouvoir la recherche sur l’histoire de la gendarmerie. Nous avons estimé avoir aujourd’hui suffisamment de connaissances pour pouvoir dépasser le niveau franco-français et s’intéresser à l’international, afin de voir comment les gendarmeries étrangères se sont développées. Une vingtaine de pays seront donc représentés au colloque, dont la Turquie, le Portugal, l’Allemagne, la Pologne ou encore le Brésil.

AEF Sécurité globale : La gendarmerie française a-t-elle influencé les gendarmeries étrangères ?

Georges Philippot : Le modèle de la gendarmerie française a été exporté à l’étranger de différentes manières, par vagues successives. Il y a tout d’abord eu la vague napoléonienne et post-napoléonienne, au cours de laquelle les gendarmeries se sont développées en Russie, en Italie, en Autriche, ou encore en Espagne sur le modèle français. La seconde vague a eu lieu lors de la première guerre mondiale et dans les années qui ont suivi, en lien avec les premières participations de la gendarmerie française à des missions internationales sous le contrôle de la Société des nations. La vague post-coloniale a ensuite été importante. La gendarmerie était présente dans toutes les expéditions coloniales françaises pour assurer l’ordre et la discipline. Lorsque la France a quitté ces territoires, la quasi totalité des anciennes colonies a souhaité conserver le modèle de la gendarmerie.

AEF Sécurité globale : Quelles sont, selon vous, les dates historiques clés pour la gendarmerie française ?

Georges Philippot : Le premier prévôt des maréchaux est identifié en 1339. Il exerce un pouvoir de police et de justice à l’encontre des militaires. Puis en 1536, François Ier étend les compétences des prévôts sur les civils. À la fin du XVIIe siècle, la maréchaussée est en plein déclin et on voit alors l’apparition des commissaires de police. La maréchaussée est organisée nationalement en 1720, structurée avec un règlement et une discipline militaire, qu’elle conserve encore aujourd’hui. Elle est baptisée « gendarmerie nationale » en 1791 et à cette date, en raison de la séparation des pouvoirs, elle perd ses missions de justice.

AEF Sécurité globale : L’intégration de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur en 2009 a-t-elle modifié son identité ?

Georges Philippot : Le rapprochement de la police et de la gendarmerie a complètement modifié la perception qu’avaient les premiers sur les deuxièmes et inversement. La gendarmerie avait jusqu’alors l’image d’une police sûre d’elle et forte, alors que la police ne percevait pas vraiment l’importance de la gendarmerie. En quelques années, leur vision a changé : aujourd’hui, les gendarmes se disent « la police, ce n’est que cela » et les policiers constatent que « la gendarmerie, c’est tout cela ». Le rapport de force s’est modifié et la crainte a changé de camp, si crainte il y avait. La police découvre les moyens exceptionnels dont dispose la gendarmerie et les gendarmes trouvent que les conditions de travail de la police, d’un point de vue social, ne sont pas inintéressantes.

L’intégration de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur a paradoxalement renforcé l’identité militaire des gendarmes qui, pour certains ne se posaient pas vraiment la question de leur identité jusqu’alors. Aujourd’hui, ils affichent vraiment leur identité militaire pour marquer leur différence.

Mais le rapprochement des deux forces est un vieux débat, qui avait été déjà posé en 1766 sous l’angle financier. La question se posait alors de savoir qui devait payer la maréchaussée, car, pour certains, il n’était pas normal qu’elle soit payée sur les crédits du ministère de la Guerre, alors qu’elle était utile pour l’ensemble de la population. De même, en 1926, un décret prévoyait que le budget de la gendarmerie soit établi par le ministère de l’Intérieur, puis mis en place au ministère de la Défense pour gestion.

AEF Sécurité globale : Le professeur de sociologie et responsable du Cerp (centre d’études et de recherches sur la police) François Dieu constate dans l’ouvrage «Soldats de la loi» une «certaine policiarisation» de la gendarmerie et estime que la police s’est au contraire engagée «dans un processus de militarisation». Qu’en pensez-vous ?

Georges Philippot : On peut constater en effet une certaine militarisation de la police, qui a le « complexe du militaire » et veut souvent apparaître, dans son apparence vestimentaire notamment, comme des militaires. La «policiarisation» de la gendarmerie apparaît quelque peu, notamment parce que les gendarmes se sont beaucoup investis dans la police judiciaire. Mais cela ne traduit pas un mouvement de fusion des deux institutions. Il faut laisser à chacun ce qu’il sait faire et ce n’est pas en alignant le tout avec le plus petit dénominateur commun que l’on va gagner en efficacité. Il faut une police et une gendarmerie.

Source : CaptureAEF Sécurité Globale Dépêche n° 9175 – Paris, mercredi 12 juin 2013.

Julie Robelet
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