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Le - Redéploiements police-gendarmerie : « Un ajustement permanent est nécessaire »

Redéploiements police-gendarmerie : « Un ajustement permanent est nécessaire » (Général Marc Watin-Augouard, directeur du centre de recherche de l’EOGN).

« La police et la gendarmerie ne sont pas des ‘clones’. Chacune correspond à un type de territoire. Le redéploiement a pour objectif de choisir la force la mieux adaptée compte tenu des circonstances locales ». C’est ce qu’affirme le général Marc Watin-Augouard, directeur du centre de recherche de l’École des officiers la gendarmerie nationale. Dans une interview à AEF Sécurité globale, il estime que « les redéploiements ne sont pas limités dans le temps. Un ajustement permanent est nécessaire ». Le général présente par ailleurs le centre de recherche de l’École des officiers de la gendarmerie nationale, dont l’objectif est de « favoriser la réflexion sur les questions de défense et de sécurité ». Il revient également sur sa carrière au sein de la gendarmerie, qui est « engagée dans la lutte contre la criminalité organisée, la cybercriminalité, sollicitée pour participer aux opérations extérieures, vivant des relations pacifiées avec le ministère de l’Intérieur – avec la police nationale en particulier – et le ministère de la Défense ».

AEF Sécurité globale : Pouvez-vous nous présenter le centre de recherche de l’École des officiers de la gendarmerie nationale que vous dirigez ?

Marc Watin-Augouard : Toutes les grandes écoles du service public disposent d’un centre de recherche destiné à accompagner les élèves dans leurs travaux. Le centre de recherche de l’EOGN permet une ouverture sur les « sachants », une aide à l’enseignement. Il offre un conseil en matière scientifique et rédactionnelle pour les élèves officiers qui doivent soutenir des mémoires. Il mène également des études à la demande de la direction générale de la gendarmerie nationale. Le centre de recherche ne comprend cependant pas de chercheur autonome. Ainsi, lorsque nous devons mener une étude, nous allons rechercher la personne idoine, notamment dans le milieu universitaire. Nous travaillons sur des thèmes utiles à la gendarmerie en associant les élèves officiers. À titre d’exemple, nous menons notamment des études sur la contrefaçon, la fraude ou encore la cybercriminalité.

L’objectif du centre est également de favoriser la réflexion sur les questions de défense et de sécurité. À ce titre, nous avons établi des relations avec les centres de recherche des écoles militaires de Saint-Cyr-Coëtquidan ou le centre de recherche de l’ENSP à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or. Plus globalement, l’objectif du centre est de faciliter le travail de ceux qui décident en leur offrant des pistes stratégiques. Nous souhaiterions ainsi nous inscrire dans la dynamique du CSFRS (Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques).

Notre budget de fonctionnement est de 80 000 euros. Chaque étude est payée environ 3 000 euros, ce qui est modeste, mais conforme à ce qui se pratique ailleurs. Notre objectif principal est d’exister par le rayonnement. C’est pour cela que nous organisons, avec la société CEIS (Compagnie européenne d’intelligence stratégique) et la région Nord-Pas-de-Calais, le Forum international de la cybersécurité, qui aura lieu à Lille les 28 et 29 janvier 2013. Sur le plan international, le centre de recherche est également en train de développer ses relations avec l’étranger. Nous avons reçu des sollicitations du Maroc qui souhaiterait développer des relations avec le centre de l’EOGN. De même, le Qatar aura bientôt avoir un centre de recherche avec lequel nous pourrons collaborer. Nous avons enfin un projet commun avec l’Allemagne sur une recherche relative à la conception territoriale des politiques de sécurité. Le FIC sera également une occasion de tisser des liens plus étroits avec les représentants des 35 pays participants.

AEF Sécurité globale : Comment est-il possible de combiner le travail de recherche des chercheurs avec le devoir de réserve de la gendarmerie ?

Marc Watin-Augouard : Le devoir de réserve s’impose à tous les agents publics, civils ou militaires. Les chercheurs ont l’obligation de respecter une démarche scientifique. Ils doivent respecter les règles liées au secret et à l’obligation de discrétion. Cela ne bride ni nos recherches, ni le travail des universitaires qui coopèrent avec nous.

AEF Sécurité globale : Votre adieu aux armes s’est déroulé le 27 avril 2012 après près de 40 ans dans la gendarmerie, quel regard portez-vous sur les évolutions de cette institution ?

Marc Watin-Augouard : J’ai passé 42 ans sous l’uniforme. Pour moi, c’est un très beau film avec quelques mauvaises images. Il y a eu parfois des phases difficiles, voire douloureuses, mais la gendarmerie est dans une dynamique de progrès. Quand j’ai commencé ma carrière, nous étions équipés de vieilles estafettes et nous travaillions de façon très artisanale. Je quitte une gendarmerie engagée dans la lutte contre la criminalité organisée, la cybercriminalité, sollicitée pour participer aux opérations extérieures, vivant des relations pacifiées avec le ministère de l’Intérieur – avec la police nationale en particulier – et le ministère de la Défense, dont elle continue de relever dans les domaines qui conditionnent sa « militarité ». Dans les 40 années à venir, nous devons évoluer au même rythme… Mais je rappelle aux gendarmes qu’ils sont avant tout une force humaine et, même avec des techniques modernes, ce sont bien les hommes et les femmes qui font l’institution.

La vie militaire est certes plus contraignante que la vie civile. Le gendarme ne peut construire une vie professionnelle sans vivre avec les autres, avec l’institution, ce qui est porteur de contraintes mais aussi de beaucoup de solidarités. L’individu s’efface devant l’institution, ainsi on parle souvent des « grands flics », mais de « la gendarmerie » en général.

Nos métiers se sont également diversifiés et complexifiés. Il nous faut aujourd’hui garder une unité dans la diversité, car la gendarmerie a besoin de tous les corps de métiers, de linguistes, de scientifiques, de juristes… Il faut donc apprendre à garder un même moule dans nos écoles, tout en veillant à diversifier les profils par la suite.

AEF Sécurité globale : Que pensez-vous de la loi du 3 août 2009 marquant l’intégration de la gendarmerie nationale au ministère de l’Intérieur ?

Marc Watin-Augouard : Le rapprochement avec la police nationale a été marquant et, de mon point de vue, nécessaire. La loi du 3 août 2009 est très claire : elle précise que chaque force garde son identité et que la gendarmerie demeure une force militaire. Paradoxalement, notre départ du ministère de la Défense a renforcé nos liens avec ce ministère et nos actions avec lui sont plus riches qu’avant. La gendarmerie n’est donc pas affaiblie par ce rapprochement. Si nous respectons bien l’esprit du législateur, la coopération renforcée avec la police ne remet pas en cause la spécificité de la gendarmerie, force armée favorisant le continuum défense-sécurité.

AEF Sécurité globale : Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a annoncé en novembre 2012 plusieurs mesures en faveur de nouveaux redéploiements police-gendarmerie. Qu’en pensez-vous ?

Marc Watin-Augouard : Je pense que la poursuite des redéploiements est une bonne décision. S’agissant de la police et de la gendarmerie, il ne faut pas opposer la ville et la campagne, car l’évolution des territoires est plus complexe. L’organisation de la police est adaptée à la protection de la moitié de la population qui vit sur 5 % du territoire. La densité est un facteur déterminant. La gendarmerie, quant à elle, exerce seule les missions de sécurité publique au profit de l’autre moitié de la population, sur les 95 % du territoire où s’observe une forte croissance démographique. La surface, la distance sont plus « structurantes » C’est pour cela qu’elle doit avoir une organisation territoriale et polyvalente, alors que la police est organisée selon un modèle fonctionnel, avec une très grande spécialisation (PJ, renseignement, sécurité publique, etc.).

La police et la gendarmerie ne sont pas des « clones ». Chacune correspond à un type de territoire. Le redéploiement a pour objectif de choisir la force la mieux adaptée compte tenu des circonstances locales. Le modèle de la police repose sur la cohérence des agglomérations ; celui de la gendarmerie sur le maillage des 3 300 brigades qui constitue une « trame de sécurité ». Entre 2002 et 2007, une vague importante de redéploiements a été opérée. Désormais, il s’agit de travailler au cas par cas pour conforter la logique de notre dispositif de sécurité. Parce qu’ils sont une des conditions de l’amélioration de l’offre publique de sécurité, les redéploiements ne me paraissent pas limités dans le temps. Un ajustement permanent est nécessaire.

AEF Sécurité globale : Le code de déontologie de la police et de la gendarmerie est actuellement en cours de rédaction. Pensez-vous que ce code va remplacer la charte du gendarme élaborée en 2009 ?

Marc Watin-Augouard : Nous nous acheminons vers un texte normatif qui ne rendra pas, à mes yeux, la charte du gendarme caduque. Un code n’est pas une charte, il n’a pas la même dimension. La charte ne disparaîtra pas du fait de la publication du code de déontologie. Elle est porteuse de sens et concerne des domaines – la solidarité en particulier – qui ne relèvent pas du droit.

Source:  Dépêche n° 8018  Paris, lundi 7 janvier 2013

 

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