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ÉTAT ET COLLECTIVITÉS

Remettre les forces de l’ordre sur le terrain : les enjeux

09 février 2017 • Marie Tetard

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Alors même que les programmes des candidats ont presque tous mentionné la nécessité d’effectifs supplémentaires de police, une analyse objective de la situation s’impose. Ce n’est pas tant les effectifs globaux qui sont insuffisants en France, mais la présence effective sur le terrain des policiers et des gendarmes. Trop peu d’hommes sur le terrain en proportion de ces forces est la conséquence d’une proportion trop importante de fonctionnaires de police et de gendarmerie affectés à des tâches administratives. Inquiétant : alors que les objectifs affichés sont toujours de faire remonter les taux d’engagement sur le terrain. A la fois chez les gendarmes et chez les policiers, ce taux a tendance à baisser d’année en année.

Le problème du temps de terrain effectif

En 2011, un rapport d’Alain Bauer et Christophe Soullez quantifiait le nombre d’agents disponibles relatif aux effectifs des forces territoriales afin de dresser un portrait de l’efficacité et de la présence sur le terrain de celles-ci. Après avoir comptabilisé les différents temps plein affectés aux charges judiciaires, gardes statiques, missions de maintien de l’ordre, en tâches administratives, mais encore en détachements, en absence, congés ou formation, plus de 16% des forces étaient ainsi indisponibles en 2008. Cela correspond ainsi à plus de 11.000 agents en équivalents temps plein indisponibles, avec le tableau ci-dessous résumant les affectations en chiffres de cette étude sur la sécurité publique[1].

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Ainsi, presque la moitié des indisponibilités de temps plein correspondaient à des absences et des congés, et plus d’un cinquième aux charges judiciaires ; soit des agents de la police judiciaire rattachés au ministère de de Justice. Cette baisse des effectifs disponibles a été accompagnée d’une baisse de la durée de présence sur le terrain pour les agents de sécurité publique, en moyenne à moins de 40% du temps de travail pour la police, et autour de 62% pour les gendarmes[3]. D’après un rapport sénatorial de 2016, l’accent mis sur les embauches de forces de police et de gendarmerie l’est aux dépens de l’assurance de meilleurs moyens physiques et judiciaires, alors que la délinquance et le terrorisme mettent le pays en alerte. D’après les derniers chiffres du gouvernement, présents dans la PLF 2017 des missions Sécurité, le tableau ci-dessous résume les valeurs réelles et cibles relatives aux effectifs sur le terrain des forces de sécurité[4].

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En termes d’engagement sur le terrain, la Gendarmerie Nationale a des taux presque deux fois supérieurs à ceux de la Police Nationale mais les deux indicateurs sont dans une tendance à la baisse. Et comme confirmé par le rapport public annuel 2017 de la Cour des comptes, les forces mobiles, soit gendarmes mobiles et CRS, ont vu leurs effectifs réels baisser de 7,5% de 2010 à 2015, ce qui ramène à un taux de disponibilité immédiate de 2% des unités totales[5]. D’autres constatations frappantes sont faites : la taille moyenne des unités a baissé, ainsi que la durée de formation et d’entraînement, et les heures supplémentaires ont de surcroît grimpé de 8% entre 2010 et 2015.

Cela fait écho à la part grandissante de tâches administratives demandées par les hiérarchies policières et de Gendarmerie aux forces de l’ordre, qui diminuent le temps passé sur le terrain[6]. Le rapport de la Cour des comptes 2016 met en exergue plus haut qu’hors « plan migrants », 40% des créations d’emplois avaient concerné des personnels administratifs dans la gendarmerie et 14% dans la police nationale. Sur les forces déjà en place, le personnel administratif représente 3,3% dans la gendarmerie, et quatre fois plus avec 12% des forces en 2013[7] dans la police nationale.

Les possibilités pour améliorer cette présence sur le terrain

Dès 2003, le cabinet Accenture, spécialiste de l’externalisation, qui travaille avec les gouvernements français et britannique, avait souligné de nombreuses marges d’amélioration, comme les fonctions de procuration de vote ou documents d’identité qui ne relèvent pas de la sécurité publique[8] et qui mobilisaient abusivement les personnels assermentés des commissariats et gendarmeries. Il existe par ailleurs de nombreux autres postes occupés par la police et gendarmerie qui pourraient être externalisés comme les transferts pénitentiaires, les gardes, extractions judiciaires aujourd’hui transférés théoriquement intégralement à l’ARPEJ (Autorité de régulation et de programmation des extractions judiciaires), relevant du ministère de la Justice, médicales, administratives, d’ambassades, entre autres. Récemment supprimées, les gardes statiques sont désormais remplacées par des patrouilles mobiles en Île-de-France, qui restent à la charge de l’État, et dont les coûts sont estimés à 107 millions d’euros[9]. La fin des extractions judiciaires pourrait également se quantifier à entre 46 et 49 millions d’euros[10]. La gestion du stationnement peut également l’être, comme Anne Hidalgo l’a proposé pour la ville de Paris[11], ce qui permettrait de concentrer les forces d’ASVP (Agent de surveillance de la voie publique) sur d’autres missions.

Selon un rapport sénatorial de 2016, certains leviers seraient à envisager après examen du temps de travail des policiers et gendarmes[12]. En premier lieu, la diminution des « tâches indues » qui empêchent les officiers d’être présents sur le terrain depuis quelques années, alors que la part d’administratif a nettement augmenté[13]. La synthèse des performances de 2013 à 2014 montrait par exemple une augmentation de 300.000 heures de missions périphériques (détaillé plus bas) sur le total des heures[14]. Le rapport cité ci-dessus souligne aussi le besoin de l’augmentation du temps de travail des policiers, ainsi que d’une plus grande communication qui permettrait entre les deux une complémentarité des tâches.

Externaliser certaines tâches et postes est une autre solution évidente qui a beaucoup été citée parmi les possibilités afin d’améliorer l’efficacité des forces de l’ordre, c’est pourquoi la délégation interministérielle à la sécurité privée a publié un rapport relatif aux bonnes pratiques d’achat de prestations[15].

  • La première explication est le coût. En effet, les agents privés coûtent moins cher que ceux de la fonction publique, alors même que le chiffre d’affaires de la sécurité privée a bondi de 11% en 2015, les salaires des agents n’ont pas augmenté[16]. Aussi, à niveau d’expérience équivalente, c’est-à-dire après 2 ans d’ancienneté pour un poste d’élève ou stagiaire policier ou de gardien de la paix (en province), un agent de sécurité de même ancienneté aura un salaire brut moins élevé de 16,59€ par mois[17] : Quant au « net », l’écart sera encore plus important : l’agent d’exploitation privé recevra 545,17 € de moins que le gardien de la paix, du fait que les primes à l’ancienneté n’apparaissent qu’après quatre ans dans l’entreprise, et que les charges payées par les salariés sont plus élevées que celles des fonctionnaires.

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Une refonte du travail de sécurité intérieure et de sa législation sera nécessaire, accompagnée d’une externalisation vers le privé pour effectuer les missions annexes et administratives de façon contractuelle. Ainsi, les gendarmes, mais surtout les policiers, pourront donc retourner sur le terrain, et redevenir une force de proximité, qui est leur rôle initial. La loi devra grandement se simplifier pour poser des règles plus claires, différencier le rôle des agents privés et publics de sécurité, et permettre une complémentarité et une coopération pertinente entre sécurité publique et ESSD.Le chemin semble encore long pour diminuer les tâches indues des forces de l’ordre. Des propositions récemment faites à ce sujet ont été refusées lors des discussions sur les modifications possibles de l’article L. 611‑1 du code de la sécurité intérieure. Alors que Bernard Cazeneuve annonçait fin 2016 la relève pour des agents de sécurité de certaines fonctions telle que la diminution des tâches indues, la réalité est tout autre en ce début 2017. En effet, les amendements déposés afin de faire surveiller les détenus hospitalisés par des agents privés armés[22], transporter des détenus[23], ou expulser des locataires[24] par les ESSD, ont été rejetés.

Sourcewww.ifrap.org

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