Policiers bientôt en procès pour des violences : « Ce n’est pas l’échec d’un individu mais d’un ministère »
Par Sébastien Grob
Face aux critiques, il a lâché une deadline. Le procureur de Paris, Rémy Heitz, a annoncé ce jeudi 30 mai que des policiers seront bel et bien jugés dans les mois à venir pour des violences « illégitimes » commises pendant des manifestations des gilets jaunes. « Il y aura des renvois de policiers devant le tribunal correctionnel d’ici à la fin de l’année », a-t-il affirmé dans une interview au Parisien, précisant « qu’aucun policier ou gendarme n’a été mis en examen pour l’instant ».
Alors que le parquet a été critiqué pour son inaction apparente face aux violences policières qui ont défrayé la chronique ces derniers mois, le magistrat s’est défendu de vouloir les « éluder ». Et le procureur de justifier la lenteur de ces dossiers en pointant le temps nécessaire aux procédures, avec notamment des « heures de vidéos » à analyser pour chaque dossier.
174 ENQUÊTES CONTRE DES POLICIERS
Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, quelque 174 enquêtes ont été ouvertes par les inspections générales de la police et de la gendarmerie nationale (IGPN et IGGN). Parmi elles, 57 ont été achevées et transmises au parquet dont huit « ont justifié l’ouverture d’une information judiciaire », a détaillé Rémy Heitz. La plupart des dossiers concernés « datent des premières manifestations de novembre et décembre », mais comptent aussi « les faits dénoncés par Jérôme Rodrigues le 26 janvier ». Cette figure des gilets jaunes a perdu un œil lors de « l’acte 11 », incriminant un tir de lanceur de balles de défense(LBD) déclenché par un policier. Des armes impliquées dans « plusieurs dossiers », confirme le procureur. Comme Jérôme Rodrigues, près de 2.500 personnes ont été blessées parmi les manifestants depuis novembre, et 1.797 du côté des forces de l’ordre.
Cette déclaration contrebalance la communication gouvernementale sur le maintien de l’ordre lors des manifestations de gilets jaunes, maintes fois décrit comme « exemplaire » par le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, s’attirant les foudres d’une partie de l’opinion. Dans ces conditions, au sein de la police, se diffuse le sentiment d’une utilisation politique des cas transmis à la justice : « Il ne doit pas y avoir d’impunité, mais le moment et le ton avec lequel cela a été dit par le procureur ont été extrêmement mal perçus dans nos rangs », a pointé ce vendredi sur Franceinfo Loïc Travers, secrétaire national Île-de-France du syndicat de policiers Alliance, pour qui le procureur jette « les policiers en pâture ». « La justice prend une tournure politique [face à] la pression des gilets jaunes », a également dénoncé Grégory Joron, secrétaire national CRS chez SGP Police-FO, toujours auprès de Franceinfo.
« Les policiers de terrain vont servir de boucs émissaires »
« Nos forces de l’ordre samedi après samedi ont été absolument exemplaires, a réassuré la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, ce vendredi sur LCI. Et, pour garantir à tous les Français que le comportement de nos forces de police est en tous points exemplaire, il faut aussi que, lorsque la violence a été utilisée de manière illégitime (…), les policiers soient sanctionnés ». En attendant d’éventuelles condamnations de policiers, plus de 2.000 manifestants des samedis jaunes ont déjà été condamnés en justice.
Gilets jaunes : Sibeth Ndiaye affirme son soutien aux forces de l’ordre
VIDÉO. La porte-parole du gouvernement a tenu à pointer l’exemplarité des forces de l’ordre et rappelé l’indépendance de la justice.
Source AFP
Une annonce qui revient à « jeter en pâture » les forces de l’ordre, s’est offusqué jeudi le syndicat Alliance. « Nos forces de l’ordre samedi après samedi ont été absolument exemplaires » pendant la crise des Gilets jaunes, a souligné le porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, vendredi sur LCI.
Les policiers et gendarmes « sont ceux qui ont l’autorisation d’user de la violence de manière légitime »
« Et, pour garantir à tous les Français que le comportement de nos forces de police est en tous points exemplaire, il faut aussi que, lorsque la violence a été utilisée de manière illégitime ou de manière disproportionnée, les policiers soient bien sûr sanctionnés », a-t-elle ajouté. « Dans notre système institutionnel, dans notre démocratie, [policiers et gendarmes] sont ceux qui ont l’autorisation d’user de la violence de manière légitime », a-t-elle poursuivi.
Des enquêtes souvent « longues »
Quant à ceux qui évoquent un « deux poids deux mesures » dans le traitement par la justice des dossiers, Mme Ndiaye a noté que si les procédures judiciaires sont « plus rapides » pour les manifestants auteurs d’« exactions », c’est qu’ils sont généralement arrêtés « en flagrant délit », quand « les violences utilisées de manière illégitime par les forces de l’ordre » requièrent « souvent des enquêtes plus longues », à partir de faits qui « ne sont pas du flagrant délit ».
« Nous notons que le procureur rend hommage à l’action et au sang-froid des forces de l’ordre et rappelle le contexte extrêmement difficile dans lequel elles opèrent depuis plusieurs mois », a réagi auprès de l’Agence France-Presse vendredi le ministère de l’Intérieur.
171 enquêtes confiées à l’IGPN
« Pour mémoire, depuis le mouvement des Gilets jaunes, ce sont près de 50 000 manifestations, rassemblements sur des ronds-points ou blocages qui ont été sécurisés par les forces de l’ordre », rappelle-t-on à Beauvau.
Plusieurs dossiers ont trait à l’usage de LBD
Dans un entretien au Parisien, paru jeudi, le procureur de Paris, Rémy Heitz, a notamment évoqué les faits liés à l’une des figures des Gilets jaunes, Jérôme Rodrigues, qui a perdu un œil le 26 janvier, ou encore ceux commis dans un restaurant Burger King le 1er décembre. « Plusieurs dossiers ont trait à l’usage de lanceurs de balle de défense (LBD) », a-t-il détaillé, ajoutant qu’à l’heure actuelle « aucun policier ou gendarme n’a été mis en examen ».
Quant aux autres dossiers sous l’autorité du parquet, le successeur de François Molins assure qu’ils seront analysés « avec beaucoup d’attention ». « Il y aura des classements sans suite » et « aussi des renvois de policiers devant le tribunal correctionnel d’ici la fin de l’année ». S’il estime que « la République doit une reconnaissance toute particulière » aux forces de l’ordre, Rémy Heitz a cependant assuré que « la justice passera dans ces affaires, comme dans toutes les autres ».
Le syndicat Alliance s’insurge
Un message qui revient, pour le syndicat de police Alliance, à jeter « en pâture sur la place publique » les forces de l’ordre « après des mois de manifestations très violentes pour lesquelles on a eu besoin des policiers et de leur professionnalisme ». « Aujourd’hui, il semblerait, alors que la mobilisation est en baisse, que certaines déclarations viennent mettre à mal la présomption d’ innocence des policiers », a indiqué Olivier Houraud, secrétaire général adjoint du syndicat, dans une déclaration écrite à l’Agence-France Presse.
« Pourquoi subitement nous entendons parler de passages en correctionnelle (…) », s’interroge-t-il, ajoutant qu’Alliance n’hésitera pas « à réagir s’il le faut, si certains semblent vouloir régler leurs comptes ! » « J’ai l’impression que la justice prend une tournure politique », a de son côté indiqué sur Franceinfo Grégory Joron, secrétaire national CRS pour le syndicat Unité SGP Police-FO. Côté manifestants, depuis le début du mouvement, le procureur a recensé 2 907 gardes à vue. Elles ont abouti à des classements sans suite dans 44,8 % des cas tandis que 1 357 personnes ont été déférées, dont 515 jugées en comparution immédiate.
30 dossiers examinés par la police judiciaire
En outre, les investigations se poursuivent dans 30 dossiers confiés à la police judiciaire. « Il s’agit des cas les plus graves et complexes : les agressions de forces de l’ordre, les pillages d’enseignes de luxe ou le saccage de l’Arc de Triomphe… », ou de dossiers pour lesquels il existe « un travail important à mener sur la vidéo », comme « l’attaque des magasins Givenchy et Dior » le 24 novembre, a ajouté Rémy Heitz. Interrogé également sur sa circulaire controversée appelant à ne lever les gardes à vue qu’après les manifestations, le procureur a confié avoir « mal vécu cette mise en cause ». « Il n’a jamais été question de maintenir en garde à vue quelqu’un en l’absence d’infraction », s’est-il défendu.