GRAND FORMAT. « Des couteaux et des barres à mine qui se transforment en armes », c’est quoi être gendarme en milieu rural
Écrit par Romuald Bonnant
Publié le 17/04/2024 à 06h00
Ils sont une petite trentaine de gendarmes au sein de la communauté de brigades de Carhaix-Plouguer. Ils gèrent des affaires de violences familiales, mènent des opérations de contrôle de vitesse ou de stupéfiants, reçoivent des plaintes pour viols ou font face à de la délinquance environnementale. Nous avons passé 48h avec eux.
Olivier Samain et sa compagne Betty Langlois sont éleveurs de chèvres et produisent leurs fromages biologiques. Mais, ces derniers mois, le couple d’agriculteurs, installé à Plouyé, à 2 kilomètres de Huelgoat, a subi plusieurs vols. Panneaux solaires, carburant siphonné d’une cuve et même animaux dérobés.
Il y a des collègues éleveurs , ils retrouvent des bêtes, il manque un morceau de gigot… Ça fait peur !
Olivier Samain
Éleveur de chèvres à Plouyé
Une situation qui met les nerfs à vif de l’exploitant agricole. « Quand je viens voir les chèvres, j’ai toujours peur de voir la porte cassée, confie Olivier Samain. Nous avons de la viande qui peut attirer les gens. Il y a des collègues, ils retrouvent des bêtes, il manque une cuisse, un morceau de gigot… Ça fait peur ! » ajoute-t-il. Sa compagne, elle, ne cache pas son inquiétude. « Je n’ai pas envie qu’un jour il tombe sur un délinquant, sur nos terres, en train de faire des choses comme ça et qu’il s’énerve car c’est lui après qui sera en tort » explique Betty.
Un service de gendarmerie spécialisé en sûreté
Alors, les éleveurs de chèvres ont fait appel à la gendarmerie pour les aider à renforcer la sécurité de leur exploitation. Ce matin-là, la chèvrerie de Plouyé reçoit la visite de l’adjudant Frédéric Sergent.
Il est l’un des trois référents sûreté pour la zone. Sa mission consiste à réaliser un tour complet de l’installation pour identifier les failles.
Vérification des accès, reconnaissance des espaces sensibles, prises de photos, rien n’est laissé au hasard. Au passage, des recommandations sont données. « Il faudrait fabriquer un système pour ne pas avoir accès au robinet de la cuve » conseille le militaire. Un peu plus loin, autre solution « pour prévenir les cambriolages, faire un accès unique à la ferme et installer une caméra. »
Des sorties de couteaux ou des barres à mine qui se transforment en armes
Adjudant Frédéric Sergent
Référent sûreté Groupement de gendarmerie du Finistère
Pour l’adjudant Frédéric Sergent, il s’agit de s’adapter aux besoins des éleveurs et de trouver des ripostes simples à mettre en œuvre et pas forcément onéreuses pour les agriculteurs. « C’est notre problème. Si on n’est pas équipés, c’est parce qu’on a pas l’argent » assume l’éleveur. Sa compagne renchérit : « nous, ce que l’on privilégie, c’est d’abord le travail, les bêtes mais maintenant il va falloir réfléchir à la sécurité. »
Malgré tout, le message consiste aussi à mettre en garde le couple en cas de face-à-face avec des intrus…parfois armés. « On le voit assez régulièrement, explique l’adjudant Frédéric Sergent. Des sorties de couteaux ou des barres à mine qui se transforment en armes. Là, ce ne sont plus les vols d’animaux qui vont poser problème mais c’est le fait qu’on va être blessé et qu’on ne pourra pas travailler non plus.«
On montre qu’on fait partie du paysage
Adjudante Lucille Soudais
Communauté de brigades de Carhaix-Plouguer
À 20 kilomètres de là, l’adjudante Lucille Soudais entame son astreinte de 24 heures avec son binôme. Ce qu’on appelle dans le jargon de la gendarmerie la PAM, la ‘première à marcher’. Pour celle qui est arrivée en Bretagne il y a environ un an, la mission de ce début de journée consiste en une présence sur le marché de Huelgoat.
Une déambulation au cours de laquelle les deux gendarmes retrouvent des commerçants habituels qui vont jusqu’à leur offrir un bol de soupe ou un samoussa. Même si le lieu est calme, pour la militaire, la visibilité des gendarmes auprès de la population est une priorité. « Effectivement, même s’il ne se passe pas grand-chose, on va discuter et on montre qu’on fait partie du paysage » indique la jeune femme.
Une présence militaire au quotidien
Cette présence militaire quotidienne est plutôt bien perçue sur le terrain. Comme pour cette vendeuse de plats cuisinés « Même s’il ne se passe pas grand-chose, cela rassure, c’est pour la sécurité des gens » affirme Eiline Arasoa.
Selon l’adjudante Lucille Soudais, cette présence est aussi une nécessité en termes de recueil d’informations. « Cela permet de mieux connaître la population, reconnaît-elle. Car, parfois, des personnes ne viennent pas jusqu’à la brigade pour nous dire les choses. Dernièrement une personne nous a alertés sur des rassemblements de gens en disant qu’il se passait des choses. Cela nous permet d’orienter nos patrouilles et nos surveillances. »
Je me suis demandé ce qu’il se serait passé si j’avais insisté
Jacques Thépaut
Maire de Huelgoat
Une matinée calme au marché qui, soudainement, prend une tournure plus mouvementée pour la gendarme. Après l’appel du maire de Huelgoat qui vient d’être victime d’agressions verbales très menaçantes de la part d’un individu totalement inconnu de l’élu. « Il faisait du bruit, était très énervé alors je suis allé à sa rencontre pour lui demander ce qu’il se passait et il a sorti des injures très violentes avant de s’enfuir » raconte Jacques Thépaut.
Et il ajoute : « sur le coup, je n’ai pas réagi. C’est après que je me suis demandé ce qu’il se serait passé si j’avais insisté, je ne sais pas. »
Une interpellation très physique
Avec trois autres gendarmes, l’adjudante Soudais part à la recherche de l’homme. Une recherche qui va durer plus de trois heures à travers la forêt. Pour finalement le retrouver et lui signaler sa garde à vue.
« Quand on arrive sur le Monsieur, on sait que cela peut partir très vite, relate la militaire. Mais en tant qu’officier de police judiciaire (OPJ), il faut que j’aie en tête que cet homme soit mis au courant du pourquoi il est en garde à vue, qu’il connaisse ses droits. »
Mais l’individu, qui est sous l’emprise de stupéfiants, refuse d’être emmené. Pour le maîtriser, c’est un engagement physique qui commence pour les gendarmes et qui finit à terre dans la boue. « Faut bien qu’à un moment on l’emmène dans le véhicule, il se débat, et donc on finit tous, lui aussi, à terre. » constate Lucille Soudais. Une opération au cours de laquelle la gendarme est légèrement blessée à la main.
Une bonne dose d’adrénaline pour l’adjudante et ses collègues. Finalement, l’homme d’une trentaine d’années est placé en garde à vue dans une cellule des locaux de la gendarmerie de Huelgoat.
Dans ses effets personnels, un poing américain est retrouvé. Il faut aussi gérer le chien de l’homme et appeler la fourrière. Autre urgence : prévenir le parquet de Brest concernant l’interpellation et la garde à vue. Le délai pour prévenir la justice est de 15 minutes normalement mais, dans ce cas, il aura fallu près de 50 minutes compte tenu de la complexité du dossier. L’individu, lui, finira par être hospitalisé d’office par un magistrat.
Monsieur Le Maire, vous aussi vous cherchez les vaches ?
Adjudante Lucille Soudais
Communauté de brigades de Carhaix-Plouguer
Après une rapide visite pour faire vérifier ses blessures par un médecin, l’adjudante Soudais reprend son astreinte. La nuit est tombée. Pendant plusieurs heures, elle assure cette fois avec sa collègue une patrouille nocturne.
Une nuit qui commence par une mission plutôt inattendue : retrouver des vaches en divagation sur une des routes de la commune de Poullaouen. Des animaux qui pourraient causer un accident de la circulation en pleine nuit.
À 23h30, toujours aucune vache à l’horizon. La gendarme décide d’appeler le maire de la commune. « Les maires, ce sont souvent nos premiers contacts. Quand on va sur une intervention, on ne sait pas sur qui on peut tomber et eux peuvent nous donner des informations ».
Une surveillance discrète et le plus aléatoire possible
Finalement, les deux vaches sont rentrées au pré. Pour l’adjudante et sa collègue, la ronde de nuit se poursuit. Place maintenant au contrôle des dépôts de bouteilles de gaz, ou encore la vérification des immatriculations à la recherche de voitures volées. Une surveillance nocturne, discrète et la plus aléatoire possible. « Si c’est toujours le même créneau et le même jour, très rapidement nos patrouilles sont identifiées et la délinquance s’adapte » confirme l’adjudante.
On constate de l’alcool tous les jours. Des produits stupéfiants aussi de plus en plus
Adjudant-chef Cédric Gicquel
Communauté de brigade de Carhaix-Plouguer
Le jour se lève. Alors que l’adjudante Soudais prend un court repos, cette fois c’est l’adjudant-chef Gicquel qui est le PAM, le « premier à marcher ». Pour ce gendarme et trois autres collègues, direction la commune de Plounézével, au nord de Carhaix. En tout 1.163 habitants. Avec aussi une particularité : une départementale fréquentée et limitée à 50 km/h. Un axe qui, ce matin-là, fait l’objet d’un contrôle routier.
Vitesse, alcool, stupéfiants, même si en 2023, aucun accident mortel n’a eu lieu sur les routes aux alentours de Carhaix, les gendarmes traquent les imprudences et les comportements dangereux qui sont monnaie courante. « On constate de l’alcool tous les jours. Des produits stupéfiants aussi de plus en plus. On constate que l’activité est identique le week-end ou pendant la semaine. On peut très bien faire des alcoolémies malheureusement partout, tout temps et toute heure » se désole le gendarme.
Des missions très variées
Au même moment, les affaires se succèdent à la brigade. Pour les uns, le dossier d’une prochaine course cycliste dans la zone et dont il faut sécuriser l’itinéraire afin d’éviter tout accident, pour les autres une nouvelle délinquance, celle liée à l’environnement. « Il y a tout ce qui est dépôts sauvages, pollution des sols et des rivières. Il y a aussi la maltraitance animale et parfois des trafics de produits phytosanitaires. » précise le capitaine Arnaud Pourteau, qui commande la communauté de brigades de Carhaix.
Mais il y a aussi des dossiers touchant à l’intimité des personnes comme les VIF, les violences intrafamiliales. Dans cette zone gendarmerie de Carhaix, ces violences représentent une activité importante : 200 des 2.500 procédures chaque année.
Les victimes de violences intrafamiliales sont souvent dans le déni
Gendarme Amélie Le Picard
Référente VIF communauté de brigade de Carhaix-Plouguer
La gendarme Amélie Le Picard est référente VIF à la communauté de brigades. « Un choix personnel » pour cette jeune militaire qui est titulaire d’un master de sciences politiques. À chaque fois qu’elle reçoit une victime, elle doit suivre un protocole très strict pour tout connaître de la personne, de sa vie quotidienne et ne rien omettre pour l’enquête. « On se renseigne par exemple sur la tenue vestimentaire. Car les victimes ne se rendent pas forcément compte que leur agresseur a une emprise sur leur façon de s’habiller » souligne-t-elle.
Même chose aussi pour savoir par exemple si la victime a un accès normal à sa carte bancaire. Et elle ajoute : « quand elles viennent ici, c’est une grosse démarche que font les victimes parce que, durant la relation, elles sont dans le déni. Elles acceptent car elles pensent que c’est comme cela dans tous les couples. »
Plainte pour viol d’une adolescente
Nous retrouvons l’adjudante Lucille Soudais. Après son astreinte mouvementée de la veille et un court repos, elle est appelée en urgence à la brigade de Carhaix. En tant qu’OPJ, elle doit recueillir le témoignage d’une adolescente de 16 ans.
La jeune fille est arrivée à la gendarmerie accompagnée de sa mère pour déposer une plainte pour viol. « Je peux te voir toute seule ?, demande Lucille Soudais. Vous attendez là madame ? La déposition va prendre du temps » précise la gendarme à la maman et à sa fille.
Tu peux tout me dire, y a pas de honte à avoir. Tu ne vas pas me choquer
Adjudante Lucille Soudais
OPJ à la communauté de brigades de Carhaix Plouguer
Pour la gendarme, il va falloir trouver les mots pour obtenir les déclarations d’une victime encore mineure et aussi créer un environnement rassurant. « Si tu veux, tu peux m’appeler Lucille. Si ça peut t’aider. »
L’adjudante a un premier objectif, à savoir recueillir le plus précisément les faits. « Tu peux tout me dire. Il n’y a pas de honte à avoir. Tu ne vas pas me choquer. En revanche, il faut que tu me dises la vérité. Pas de on-dit » sourit la militaire.
L’adolescente ne cache pas son intimidation et sa peur face à la gendarme mais indique qu’elle a choisi de porter plainte. « Juste avant, j’ai vu un psychologue au centre médico-pédagogique et la dame m’a demandé si je voulais porter plainte et j’ai dit oui. C’est pour cela que nous sommes là » témoigne l’adolescente. Nous ne saurons rien de plus de l’entretien car la procédure est placée sous le secret de l’instruction judiciaire.
À l’étage inférieur, la maman de la jeune fille patiente, angoissée. Elle attend beaucoup de la rencontre avec les gendarmes. « Qu’est-ce qu’ils peuvent dire à une maman comme moi ?, interroge-t-elle. Si on va au tribunal ? Si on rencontre les parents de celui qui a fait ça pour savoir pourquoi ? »
La brigade mobile des Monts-d’Arrée pour bientôt
D’ici le 1er septembre 2024, la communauté de brigade de Carhaix-Plouguer va connaître une nouveauté. Avec l’arrivée de 6 gendarmes supplémentaires. Ils formeront la brigade mobile des Monts d’Arrée.
Une des 145 nouvelles brigades mobiles qu’Emmanuel Macron avait annoncées lors de la campagne pour l’élection présidentielle en 2022. Une brigade qui disposera d’un véhicule spécifique, un ‘gend truck’, sorte de camionnette équipée de matériels informatiques et connectée à tous les logiciels indispensables aux enquêtes.
Remettre du gendarme en proximité avec la population
Chef d’escadron Xavier Bonnevie
Commandant Compagnie de gendarmerie de Châteaulin
Pour le chef d’escadron Xavier Bonnevie, commandant de la compagnie de gendarmerie de Châteaulin, cette nouvelle unité a un objectif prioritaire : la proximité avec la population. Selon lui, « les gendarmes ont continué à agir mais le maillage s’était distendu. Là, l’idée c’est de remettre du gendarme en proximité avec la population, pour faire du contact, pour être mieux visible, pour mieux échanger, mieux accueillir.«
Aller vers les habitants
Un accueil de la population qui se fera dans tous les villages grâce au ‘gend truck’. Un nouveau mode d’action qui ne consiste plus seulement à attendre la venue des citoyens à la brigade. « Il y aura sans doute aussi des points d’accueil. Nous avons des pistes comme, par exemple, à Brasparts dans la maison France Services » précise le chef d’escadron Bonnevie.
Cette présence renforcée des gendarmes dans les Monts-d’Arrée permettra de patrouiller dans des endroits où le calme apparent de la campagne peut parfois cacher des crimes ou délits.