Lille: Quand la gendarmerie se retrouve sur le banc des accusés
PROCES Quatre gendarmes étaient appelés à comparaître pour expliquer leur rôle dans l’affaire de trafic d’armes démantelée par la police…
- Quatre gendarmes comparaissaient comme témoins dans le procès d’un réseau présumé de trafic d’armes.
- Le principal accusé affirme qu’il était en service commandé de la gendarmerie.
- Certaines armes se sont retrouvées dans les mains d’Amédy Coulibaly, le terroriste de l’Hyper Cacher.
« Claude Hermant était une source fiable ». Les gendarmes auditionnés, mercredi, au tribunal de Lille, dans le cadre du procès d’un réseau présumé de trafic d’armes, étaient formels. Ils étaient quatre à devoir répondre de leur relation avec le principal accusé de ce dossier, Claude Hermant, militant nordiste de la mouvance radicale d’extrême droite, mais aussi ancien indicateur de la section de recherche de la gendarmerie, de Villeneuve d’Ascq.
En service commandé ?
Car pour sa défense, l’indic met en cause certains gendarmes. Quand il s’est fait serrer par la police en janvier 2015, il a affirmé travailler en service commandé pour la gendarmerie dans ce vaste trafic démantelé : environ 460 armes dont six se sont retrouvées dans les mains d’Amedy Coulibaly, le terroriste de l’Hyper Cacher.
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« Si on avait eu un doute sur le fait qu’il se livrait à un trafic, on l’aurait dénoncé », souligne, à la barre, un des enquêteurs accusés par Claude Hermant. Et de plonger dans la tambouille interne des méthodes d’investigation et du rôle des indicateurs.
Grâce aux renseignements du militant d’extrême-droite, la gendarmerie parvient, en 2014, à démanteler un réseau de trafiquants d’armes dans le Pas-de-Calais, puis à localiser une production illicite de cannabis. Autant de succès qui incitent les gendarmes à considérer leur informateur comme « fiable ».
Arrêté par la police
Jusqu’à ce que les enquêteurs apprennent « par la presse », l’arrestation de Claude Hermant en janvier 2015. La police judiciaire surveillait ses agissements troubles depuis près d’un an, grâce aussi à un indic.
A défaut d’avoir couvert ses activités, la gendarmerie a-t-elle été naïve dans la gestion de son informateur ? Les gendarmes questionnés confirment que, quelques mois avant son arrestation, Claude Hermant avait évoqué avoir des informations sur l’existence d’un trafic entre la France et la Belgique. Par mail, l’informateur avait même écrit : « J’ai mis le nez dans une affaire où un chien ne mettrait pas la queue ». « On attendait un rendez-vous physique avec lui pour qu’il nous donne des détails », assurent les gendarmes. Rendez-vous qui n’aura jamais lieu.
Pour couronner le tout, il s’avère que Claude Hermant avait été aussi indicateur pour les douanes, mais il avait été désinscrit en 2012, sans que la gendarmerie ne soit mise au courant. Tout comme l’institution ignorait que son « indic » était fiché « S », faute d’avoir accès à ces fichiers.
Un colonel de gendarmerie décrypte la gestion des « indics » devant le tribunal de Lille
L’homme est raide dans son costume gris. Le cheveu coupé en brosse et le ton martial, le colonel X. rappelle l’ histoire des indics. Soulignant que Vidocq, grand flic originaire du Nord, en était friand. Puis la loi, toute la loi, rien que la loi. La loi Perben II du 13 mars 2004 autorise et encadre l’utilisation des « aviseurs » par les services d’enquête. Sur le plan plus local, le colonel X. est formel. La section de recherche (SR) du Nord-Pas-de-Calais, qu’il dirige depuis 2014, a toujours respecté ce cadre, y compris les circulaires affinant son application. Interpellé pour avoir importé des armes de Slovaquie, soupçonné d’en avoir fourni de grandes quantités à un Roubaisien censé alimenter des réseaux de gangsters, Claude Hermant, 54 ans, assure avoir agi en concertation avec des gendarmes de la SR de Lille.
« J’ai fait le choix de le désinscrire de la liste des sources et de le blacklister »
Douze comptes-rendus
Le cas spécifique Claude Hermant ? L’officier admet que la figure de l’ultradroite lilloise a été recrutée par son service en mars 2013. Le patron du snack lillois la Frite Rit sera finalement définitivement radié le 3 avril 2015. « J’ai fait le choix de le désinscrire de la liste des sources et de le blacklister, complète le colonel X. J’ai également personnellement appuyé la demande de déclassification des rapports concernant Hermant. » Et d’insister sur le cadre réglementaire : chaque rencontre avec un « indic » est suivie d’un rapport. « M. Hermant a fait l’objet de douze échanges, suivis de douze compte rendus, martèle l’officier. Ils ont tous été déclassifiés. » Si Claude Hermant, fiché S, a trafiqué des armes, ce n’est pas avec l’aval, y compris occulte, de gendarmes espérant ainsi faire tomber des groupes mafieux. Certainement pas.