Affaire de pédophilie sur le net : les explications d’un cybergendarme français
La branche néerlandaise de l’ONG Terre des Hommes a annoncé lundi avoir créé une fillette philippine virtuelle que plus de 20.000 «prédateurs» ont contactée.
Alors que l’ONG hollandaise «Terre des Hommes» a annoncé lundi avoir repéré plus de 20.000 «prédateurs» sexuels sur la toile, le Colonel Eric Freyssinet – à la tête des cybergendarmes – fait le point sur les méthodes d’investigations de la Gendarmerie Nationale.
- Il est le coordinateur du plateau d’investigation Cybercriminalité au sein de la Gendarmerie nationale.
– Avez-vous entendu parler de l’initiative de l’association hollandaise « Terre des Hommes » ?
Non, pas avant que celle-ci ne rende public son action.
– Qu’en pensez-vous, et est-ce le rôle d’une association ? (de mettre en place ce genre de pratiques) ?
Le rôle des associations est de sensibiliser à ce type de menaces et de mobiliser les autorités ou les individus selon les cas. En revanche, il ne me paraît pas opportun qu’une association (ou quiconque) se substitue à un service de police ou à la justice. Dans certains pays ce type de preuves seront irrecevables, ou même seront qualifiées d’action illégales. En revanche, nous dialoguons avec des associations régulièrement, y compris sur le développement d’outils techniques, que nous mettons en oeuvre ensuite.
– Jugez vous crédibles les chiffres avancés par l’association (20 000 prises de contacts avec des cyberpédophiles en quelques semaines, dont 1 000 identifiés précisement) ?
Oui, au niveau mondial, sans aucun doute.
– L’association se plaint dans son pays, de lacunes dans la lutte contre la cyberpédocriminalité. Considérez-vous qu’en France ce phénomène est suffisament pris en compte ?
Il est bien pris compte, tant sur le plan juridique que sur le plan de la mobilisation des services d’enquête, police ou gendarmerie.
– Pouvez-vous nous présenter les dispositifs actuels mis en place par la gendarmerie nationale ? De quels moyens humains et techniques disposez-vous ?
La lutte contre la cybercriminalité en gendarmerie s’organise sur trois niveaux: D’abord, des correspondants locaux (ou correspondants NTECH), qui reçoivent les plaintes des victimes et mènent les investigations les plus classiques – au nombre de 1000 maintenant. Ensuite, des enquêteurs spécialisés (ou NTECH, enquêteurs en technologies numériques) qui traitent les enquêtes les plus complexes et les analyses de supports informatique (et donc en particulier les disques durs liés à la pédopornographie par exemple). Enfin, il existe des services spécialisés au niveau central. Je suis moi-même coordinateur du Plateau d’investigation Cybercriminalité & Analyses Numériques qui regroupe le département informatique-électronique de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (chargé de l’expertise technique complexe, par exemple sur des disques durs ou des téléphones mobiles endommagés), et la division de lutte contre la cybercriminalité du Service technique de recherches judiciaires et de documentation (chargée des enquêtes proactives sur Internet). Au sein de cette dernière (la DLCC) on trouve un département de répression des atteintes aux mineurs sur Internet (RAMI) avec en son sein six enquêteurs spécialisés et trois spécialistes chargés de la gestion d’une base de données nationale d’analyse des images de pédopornographie (le CNAIP).
– Dans le cadre de vos enquêtes, certains gendarmes peuvent se faire passer pour des enfants lors de discussions sur la toile, et ce afin d’appater les suspects. Cette pratique est-elle récente, souvent mise en œuvre et pour quels résultats ? Quelles sont vos modalités d’action dans ce domaine ? Pouvez-vous de vous-même solliciter des suspects ?
Oui, pour la la division de lutte contre la cybercriminalité (DLCC), ce sont les enquêteurs du département de répression des atteintes aux mineurs sur Internet (RAMI) qui réalisent ces enquêtes sous pseudonyme en matière d’atteintes aux mineurs. Ils ont en outre formé 37 enquêteurs spécialisés de sections de recherche à ce type de mission. Cela permet d’aller sur Internet avec une identité fictive d’adulte ou de mineur, ou de prendre le relais d’une identité réelle (un enfant concté par un prédateur par exemple). La loi sur la prévention de la délinquance de mars 2007 a permis ce nouveau type d’enquêtes et interdit toute provocation à la commission d’infractions. Les services de la police nationale ont développé des compétences identiques, nous permettant d’avoir aujourd’hui un nombre conséquent d’enquêteurs traitant ce type de cas.
– Ce type de délit est-il facile à matérialiser ? Comment se déroule l’interpellation du ou des suspects ?
Ce sont des enquêtes au contour très varié, certaines sont assez rapides, d’autres de longue haleine, notamment lorsqu’on va chercher à identifier toutes les personnes impliquées dans un groupe de contacts. L’interpellation est classiquement réalisée au domicile des suspects, et peut parfois se prolonger sur leur lieu de travail s’ils ont réalisé les connexions suspectes depuis cet endroit.
– Quels relations entretenez-vous avec les autres pays en terme de traque des cyberpédophiles ?
Europol anime au sein de son unité spécialisée « EC3 – European CyberCrime Centre » un réseau dédié à la protection des mineurs sur Internet. Ils animent des actions coordonnées au niveau européen, dans le cadre d’un programme pluriannuel opérationnel, ou suite à une enquête initiée dans tel ou tel pays. Interpol, au niveau international extra européen anime des activités similaires. Les relations sur ce type d’infractions, qu’il s’agisse des services de police, de la justice ou même des opérateurs de communications électroniques sont en général excellentes.
– Quels conseils donneriez vous aux utilisateurs d’Internet, afin de se prémunir de ce type de prédateurs ?
La chose la plus importante est de maintenir le lien avec ses enfants, qu’un adulte, une personne plus âgée soit toujours clairement identifiée comme pouvant recevoir les confidences de l’enfant, ses questionnements. Ensuite, selon son âge, il faut parler en mots très simples des risques auxquels il peut être confronté. Si un enfant ne sait pas vers qui se tourner, il peut toujours contacter un adulte à l’école ou même la police ou la gendarmerie directement. Enfin, des associations mettent en place des plateformes d’écoute, comme Net Ecoute au 0800 200 000. Enfin, en cas de comportement préjudiciable constaté sur Internet, il est possible de les signaler sur la plateforme interministérielle de signalement: https://www.internet-signalement.gouv.fr/
LeParisien.fr
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