Articles

Le - Un ex-gendarme mobile dénonce « les agissements inhumains » de la hiérarchie

Près de Montpellier : un ex-gendarme mobile dénonce « les agissements inhumains » de la hiérarchie

Romain Boyer accuse : cet ex-gendarme mobile qui a démissionné en octobre dernier et qui réside à Aniane, dans l’Hérault dénonce « les agissements inhumains » de la hiérarchie.

Ex-gendarme mobile, Romain Boyer a retrouvé ses racines héraultaises à Aniane
Ex-gendarme mobile, Romain Boyer a retrouvé ses racines héraultaises à Aniane (©Métropolitain)

Par Jean-Marc Aubert

Publié le 30 juin 2025 à 9h34 ; mis à jour le 30 juin 2025 à 10h26

Son chemin de croix a commencé il y a plus de deux ans : le 1er mai 2023 restera une date à jamais gravée dans la mémoire de l’Héraultais Romain Boyer, alors gendarme mobile pleinement opérationnel. Mais lors d’une opération de maintien de l’ordre au traditionnel défilé de la Fête du travail dans le centre-ville de Nantes, en Loire-Atlantique, tout a dégénéré et il a basculé dans l’enfer : il a été grièvement brûlé aux jambes par un cocktail Molotov incendiaire lancé par un manifestant sur les forces de l’ordre. Diffusées dans les JT à l’époque, les terribles images de ce casqué avec ses vêtements en flammes avaient choqué la France entière.

Depuis, tout le monde a quasiment oublié ce drame terrible, mais pas Romain Boyer qui faisait partie de l’escadron 28/2 de gendarmerie mobile basé à La Réole, en Gironde, après avoir embrassé cette carrière comme réserviste de 2017 à 2020, puis comme gendarme adjoint volontaire pendant un an et enfin en tant que sous-officier en gendarmerie mobile de 2021 à 2024, l’équivalent des Compagnies républicaines de sécurité, les CRS, de la police nationale. Désormais, celui qui a été victime d’agissements dégradants accuse.

Véritable miraculé, aujourd’hui âgé de 26 ans, ce militaire natif d’Aniane, près de Montpellier qui s’est vu mourir n’imaginait pas se retrouver dans une spirale infernale, alors qu’il pensait être soutenu par la hiérarchie : « J’ai été abandonné à mon triste sort par la Gendarmerie nationale, dans les jours qui ont suivi ma sortie d’hôpital, je me suis retrouvé seul face à mon destin, relégué dans ma chambre de fonction au troisième étage de la caserne, mes collègues étant en mission loin de la région de Bordeaux pour encadrer des manifestations. En raison de mon état de santé handicapant, je n’avais pas les moyens de sortir pour faire mes courses, j’étais incapable de marcher à cause des gros pansements et des douleurs terribles aux jambes, j’ai du trouver une infirmière pour me prodiguer les soins journaliers et un psychologue pour éviter de sombrer dans un burn-out ».

Une reconversion 

Un véritable cauchemar qui durera cinq mois, jusqu’à octobre 2023 où il est muté à l’escadron 13/6 à Lodève, dans l’Hérault, un rapprochement salvateur vers ses racines familiales, à deux pas du Lodévois. Là, au milieu des vignobles et de cette vallée de l’Hérault qu’il aime tant depuis son enfance et où il a entamé une reconversion qu’il préfère garder secrète.

« J’étais très heureux de ma mutation à Lodeve, puisque je me rapprochais de ma famille, malheureusement, ce n’était pas bien vu par tout le monde et notamment par des supérieurs hiérarchiques » révèle Romain Boyer, dont le cauchemar continue alors de plus belle. Celui qui a finalement démissionné de la Gendarmerie nationale a décidé de révéler tout ce qu’il a sur le coeur : « Si j’ai décidé de parler, c’est pour raconter, avec transparence, le calvaire subi pendant trois ans, d’abord, ma mise à l’écart à La Réole suite à mes graves blessures à Nantes, ensuite, à Lodève où j’ai été victime d’actes inacceptables de la part de cette institution ».

Romain Boyer en feu le 1er mai 2023 à Nantes : cette image a tourné en boucle aux JT
Romain Boyer en feu le 1er mai 2023 à Nantes : cette image terrible a tourné en boucle aux JT (©BR)

Romain Boyer énumère ce qu’il considère comme du harcèlement permanent : « Et le mot n’est pas assez fort, car à l’escadron de Lodève, j’ai été victime d’intimidations, de violences verbales et physiques, de convocations répétées dans le bureau des gradés et visé par des rédactions incessantes de rapports. Ces actes humiliants perpétrés par des gradés semblent être tolérés, voire encouragés par la hiérarchie. Le commandement de l’unité de Lodève a eu une attitude déshumanisante »… 

Briser l’omerta

Romain Boyer s’interroge : « Comment un tel climat de mépris et de violence peut-il exister et être toléré dans notre belle institution ? Le 1er octobre 2024, j’ai donc décidé de quitter ce corps d’armée, un des plus pénibles, mais passionnant de la Gendarmerie nationale, car j’estime que ma vie a été broyée ». Il a choisi Métropolitain pour courageusement briser l’omerta face à l’attitude de « la Grande muette », le fameux surnom de l’armée, et donc de la gendarmerie qui devient de plus en plus désuet : « Ma démarche est mettre en lumière des comportements inacceptables et de les rendre publics, surtout pour empêcher qu’ils ne se reproduisent à l’avenir ».

Si ce lanceur d’alerte reprend vie peu à peu à Aniane, pas question de tirer un trait sur ce terrible passé : Romain Boyer a décidé de déballer tout ce qu’il a sur le coeur, certes, mais également de contre-attaquer : il a introduit des procédures administratives et judiciaires pour harcèlement, violences physiques et verbales et pour obtenir une indemnisation de ses graves brûlures, lors des incidents ayant émaillé la manifestation à Nantes. Les tribunaux idoines sont saisis : « Les procédures sont en cours, ça va être long je pense, mais j’irai jusqu’au bout pour faire condamner la Gendarmerie nationale », lâche t-il, sans plus s’étendre sur la question.

Près de 8 000 gendarmes démissionnent

Sans vengeance, ni haine, il veut que son histoire serve d’exemple, au travers de ce véritable parcours de combattant qu’il affronte depuis mai 2023. Plus de deux ans cauchemardesques, avec cette réalité qui inquiète au ministère de l’Intérieur et au ministère des Armées : en 2024, près de 8 000 gendarmes ont démissionné, contre 5 600 en 2023, en dénonçant des conditions de travail dégradées, une surcharge de travail et un manque de reconnaissance. Un chiffre qui témoignage du malaise profond qui touche la Gendarmerie nationale. 

« Ils en ont gros sur le képi ! »

« Ils en ont gros sur le képi ! » peut-on lire par exemple sur les témoignages accablants de gendarmes qui ont quitté les rangs de l’institution sur la page Facebook du groupe privé « GIE Côté Démission » fort de 28 000 membres, tous anonymes, on comprend pourquoi. Le mal-être est palpable sur les réseaux sociaux, où de nombreux gendarmes expriment leur lassitude; après parfois vingt années de service, ces militaires aguerris quittent leur uniforme, épuisés par des journées interminables, des ordres fluctuants selon les priorités politiques, et un manque croissant de moyens. Tout cela, Romain Boyer le sait, il l’a vécu de l’intérieur et il n’est pas prêt d’oublier.

« Pas de démissions massives » 

Pourtant, ces statistiques sont contestées par la direction générale de la Gendarmerie nationale : « Il ne s’agit pas de démissions massives, nuance ainsi le major général André Pétillot sur un site de presse spécialisée de l’armée, ces chiffres incluent les changements de corps internes, comme le passage d’un gendarme adjoint volontaire à sous-officier. » La direction préfère donc parler de « départs » plutôt que de « démissions » et le major général Pétillot assure que les effectifs sont maintenus avec 12 000 recrutements en 2024, avec plus de 100 000 gendarmes sur le territoire. Sans parler des suicides, 26 en 2024, avec, les derniers en date depuis le début de l’année 2025 : selon Actu 17, le site national d’information spécialisé dans les faits-divers, le 10 juin, un gendarme mobile s’est suicidé en Guyane, et ce jeudi 28 juin, le chef d’escadron de gendarmerie mobile 42/2 de Guéret, dans la Creuse, 55 ans, s’est donné la mort en Nouvelle-Calédonie. Marié, il était père de deux enfants. Et le 7 juin, c’est une gendarme adjoint volontaire qui a mis fin à ses jours à la brigade de gendarmerie de Bazas, en Gironde.

Des enquêtes sont en cours, notamment à l’IGGN -Inspection générale de la gendarmerie nationale,  l’équivalent de l’IGPN, la « police des polices »- pour établir les raisons de ces terribles passages à l’acte qui sont souvent liés à d’autres facteurs, mais avec une circonstance ou une situation précises faisant tout basculer vers l’irréparable.

Au milieu des vignes d’Aniane où il vient se ressourcer, ces nouvelles attristent profondément celui qui a servi trois ans en gendarmerie mobile, où s’étaient fait des amis : « Encore deux qui sont passés à l’acte dans mon ancien corps et cette jeune femme qui a aussi choisi de s’en aller, 26 gendarmes se sont donnés la mort l’an dernier, la plupart avec leur arme de service et sur leur lieu de travail, je ne sais pas combien depuis le 1er janvier dernier, mais sans doute une dizaine déjà, toutes unités confondues, il y a un véritable problème dans la gendarmerie, non ? Pourquoi personne ne le voit ? ». La « Grande muette » serait-elle en plus aveugle et sourde ?

Source : actu.fr