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Le - Christian Prouteau : « Le renseignement est la partie la plus importante de la protection du citoyen.

Christian Prouteau : « Le renseignement est la partie la plus importante de la protection du citoyen. »

Christian Prouteau, fondateur du GIGN et ancien patron de la cellule antiterroriste de l’Élysée dans les années 80, a accepté de venir au Croisic dans le cadre des conférences Grands témoins. Jacques Bruneau, adjoint au maire en charge de la culture, lui a proposé d’intervenir sur le rôle du GIGN et de la gendarmerie dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Pratique : Conférence et débat avec Christian Prouteau, vendredi 8 janvier 2016 à 17h30 à la salle des fêtes du Croisic, 33, rue du Pont de Chat. Entrée libre.

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Kernews : D’abord, connaissez-vous notre région ?

Christian Prouteau : Je connais un peu Le Croisic, puisque j’ai récemment fait une conférence sur la presqu’île. C’était la première fois. Je suis vendéen et je reste plutôt dans ma région du côté des Sables-d’Olonne. Vous savez, on habite une région magnifique, on n’en fait pas forcément tout le tour… Mais je trouve que la presqu’île est très belle !

Vous allez répondre aux questions du public croisicais le 8 janvier : j’imagine que de nombreux sujets vont porter sur la création du GIGN. C’est une force d’élite qui fait rêver les Français car elle est reconnue sur le plan mondial…

Effectivement, c’est quelque chose qui fait rêver. Le contexte est douloureux en ce moment et c’est encore plus d’actualité, même si cela l’était déjà en 1973 au moment de la création du GIGN, après la prise d’otages lors des Jeux olympiques de Munich. Les gens sont fascinés parce que ce sont les hommes qui font cette unité, et également parce qu’ils se sentent menacés mais en même temps défendus, puisque ces unités existent.

Les prises d’otages se déroulent généralement dans des lieux que vous ne connaissez pas. Toutefois, le GIGN semble toujours familier de l’endroit. Il faut donc savoir s’adapter, découvrir les plans à la dernière minute…

Les entraînements ne sont pas fixés sur un type spécifique de lieu. Donc, il y a un schéma tactique qui prévoit une approche générique et qui permet de s’adapter à toutes les situations. Évidemment, dès que l’on arrive, il y a une reconnaissance, une prise de contact avec le ou les preneurs d’otages, une analyse de la configuration de la situation, mais il n’y a pas de schéma préétabli. Le schéma est toujours réalisé en fonction de l’événement lui-même. L’armement n’est pas forcément le même non plus. Il y a quand même un entraînement très spécifique : c’est l’entraînement dans un avion. Il y a plusieurs types d’avions et des accords sont passés depuis très longtemps avec Air France, mais également Airbus. Cela nous permet d’avoir une meilleure connaissance de tous les types d’appareils, puisque ce sont des endroits plus confinés qu’un immeuble ou une usine.

On sait que les Américains, les Russes ou les Israéliens sont très bons. Pourtant, depuis des décennies, le GIGN continue de dispenser des formations dans le monde entier. Comment se fait-il que pratiquement aucun État n’ait pu égaler ce savoir-faire ?

Le GIGN a cet avantage de puiser sa ressource humaine au sein d’un corps très spécifique, celui de la gendarmerie, qui a cette dualité d’être à la fois un corps de mission de police, tout en étant dans une structure militaire. C’est assez original, même si Napoléon a essaimé quelques gendarmeries en Europe, ce qui est le cas en Espagne, en Italie, en Allemagne ou en Belgique. Mais cela reste une spécificité française. Le personnel a donc cette culture militaire, avec la rigueur, et cette culture policière qui est de savoir s’implanter dans un lieu civil avec des missions civiles. En même temps, il y a l’aspect propre de la formation, qui est très originale dans l’approche opérationnelle. Après Djibouti, en 1976, avec la prise d’otages de trente enfants, il y a eu un retentissement mondial. De la même manière, l’opération du GIGN à Marignane en décembre 1994 a eu un retentissement mondial. Les unités des autres pays, n’ayant pas forcément cette culture, ni cette préparation opérationnelle, se sont tournées vers nous. À titre d’exemple, peu de gens le savent, les cadres du groupe Delta – connu dans le monde entier, puisque c’est le groupe d’intervention américain – ont été formés au GIGN en 1980.

D’ailleurs, un livre, que vous avez préfacé, sort en janvier sur cette prise d’otages de Loyada à Djibouti…

Absolument. Le livre traite du contexte géopolitique autour de cette prise d’otages. On a tendance à l’oublier, on se fixe trop sur le fait lui-même, même s’il est douloureux, mais ces événements ne sortent pas de nulle part. Il y a toujours un contexte géopolitique autour de la prise d’otages et du terrorisme en particulier. En 1976, cette opération était extrêmement difficile et elle n’a jamais été reproduite dans le monde. Il s’agissait d’éliminer le danger qui se trouvait dans le car, et qui menaçait les enfants, à une distance de plus de 200 mètres et dans des conditions très difficiles puisque c’était dans le désert. Le GIGN a toujours été la seule unité à pouvoir maîtriser ce que l’on appelle le tir simultané, qui permet de pouvoir toucher plusieurs objectifs différents qui se protègent en se cachant derrière des otages et cela à la même seconde.

Vous évoquez Marignane en 1994 : il s’agissait d’une intervention particulière, la première grande opération du GIGN médiatisée en direct à la télévision puisque la chaîne LCI avait diffusé en direct tout ce qui se passait…

Alors, ce n’était pas tout à fait du direct : il y avait un décalage, car la technique de l’époque ne permettait pas ce qui pourrait être fait maintenant. En 1994, l’opération avait été filmée et elle avait été vue par l’ensemble des téléspectateurs avec un léger différé, le temps nécessaire à la retransmission des images. Mais c’est vrai que c’est toujours apparu comme étant du direct, puisque le décalage n’était que de cinq ou six minutes.

À l’époque, même si LCI avait diffusé ces images en direct, les preneurs d’otages n’y auraient pas eu accès, parce que les mini-téléviseurs portables étaient très rares. Or, de nos jours, tous les terroristes ont un smartphone… Cela change certainement beaucoup de choses qu’ils puissent voir en temps réel les gendarmes qui s’apprêtent à intervenir…

Cela complique évidemment le schéma opérationnel ! On l’a bien vu avec les événements de Saint-Denis. Cette simultanéité potentielle de l’intervention et du retour d’images pose un vrai problème, y compris un problème éthique de la part des médias, qui doivent se poser la question de savoir si suivre à la seconde près tous les développements est quelque chose à éviter pour que les unités ne soient pas elles-même dépassées. Cela a failli être le cas au mois de janvier 2015, puisque la coordination pouvait être rendue difficile entre l’opération à l’Hyper Cacher et celle de Dammartin-en-Goële. En effet, il devait y avoir une coordination parfaite entre les deux actions pour éviter qu’il n’y ait un retour offensif sur les otages à l’Hyper Cacher. L’otage potentiel qui était à Dammartin-en-Goële n’était pas connu des preneurs d’otages, puisque l’homme s’était caché. Le fait que Coulibaly soit informé de cette intervention, puisqu’il regardait la télévision sur son smartphone, aurait pu entraîner un retour offensif sur les otages. Alors, il y a un accord qui est en train d’être établi entre le Ministère de l’Intérieur et l’ensemble des médias en temps réel pour avoir une certaine retenue dans la diffusion des propos et des images.

Depuis ces récentes affaires de terrorisme, certains estiment que les policiers et les services secrets font un très bon travail, mais que les politiques ne suivent pas. Qu’en pensez-vous ?

Si tout était possible, cela se saurait ! Si les politiques savaient mieux faire que les hommes de terrain, cela se saurait également ! Que les politiques puissent être mis en cause dans telle ou telle prise de décision, je le veux bien, ceci au temps réel de la prise de décision. Mais pas que les forces de police n’aient pas fait en amont le travail nécessaire pour garantir la sécurité des citoyens…

Tout le monde reconnaît que les forces de police effectuent ce travail en amont…

Le travail est fait en continu. Les politiques changent, mais les hommes sur le terrain ne changent pas. Ce travail est fait. Le renseignement est la partie la plus importante de la protection du citoyen. Tout d’un coup, on s’étonne de ne pas trouver tel ou tel homme qui est dans la nature… On a mis presque trois ans à trouver le tueur présumé du préfet Érignac dans une petite île comme la Corse… Il faut se poser les bonnes questions, en reprenant les exemples qui peuvent correspondre. Si la France était un pays dont on pouvait assurer l’intégrité du territoire, effectivement, cela se saurait. Or, la France est un pays vaste et ce ne sont pas simplement les mesures prises par des hommes politiques qui peuvent faire qu’à un moment ou un autre, on ne puisse pas se retrouver avec ce type d’action menée contre nous. Ce type d’action est malheureusement un mal qui n’est pas toujours prévisible. Il est prévisible parce que l’on sait que, potentiellement, des actions peuvent être menées contre nous. Malheureusement, on ne peut pas toujours anticiper quel type d’attaque. Pour que tout le monde se rende compte que ce n’est pas nouveau, je vais prendre cet exemple : à l’époque où Action directe a tué le général Audran et Georges Besse, on se trouvait à peu près dans les mêmes schémas. Pourtant, nous avions alors beaucoup moins de moyens qu’il y en a de déployés actuellement. On a un temps de retard. Le problème, pour les forces de police, quel que soit le gouvernement en place, c’est toujours le même : ne pas avoir un temps de retard. Le temps de retard que nos forces ont eu malheureusement à partir de l’agression du Bataclan a été rattrapé avec le travail de police judiciaire, ce qui a permis l’élimination d’Abaaoud qui était l’organisateur de cette attaque terrible.

Avec les moyens technologiques actuels, comme la reconnaissance faciale, la reconnaissance vocale, les écoutes, on aurait pu espérer qu’il n’y ait plus de retard… Or, on peut encore vivre comme au Moyen Âge et ceux qui le font échappent ainsi à toute surveillance…

Je suis d’accord, il ne faut pas se faire trop d’illusions, les équipements ne sont que l’extension des sens des hommes. Derrière, il y a un travail humain qui est indispensable. Faire une confiance absolue à la technologie en pensant qu’elle va résoudre tous les problèmes, c’est stupide. Il y a, derrière, un vrai travail de terrain. Les Américains disposent du plus grand système d’écoute au monde, le système Echelon. Or, ils se sont retrouvés avec la plus grande attaque terroriste aux États-Unis, celle du 11 septembre, malgré tous leurs moyens. Les moyens n’arrivent pas à tout résoudre. De la même manière, on ne fait pas la guerre avec des avions à partir du ciel : il faut avoir des gens à l’intérieur de l’ennemi, des agents qui peuvent donner des renseignements, des gens que l’on a retournés… Le renseignement humain est la base de tout notre métier. Si l’on pense que l’on peut se passer de ce type de renseignements, on aura toujours une longueur de retard.

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Sourcewww.kernews.com

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