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Le - Des archéologues au secours des enquêtes criminelles

Des archéologues au secours des enquêtes criminelles

Une nouvelle discipline, l’« archéologie forensique », fait son entrée au sein des gendarmeries françaises et européennes pour aider à résoudre les affaires criminelles.

31/12/15 – 09 H 38

Chaque année en France, on retrouve entre 200 et 400 corps, la plupart à l’ét...

Chaque année en France, on retrouve entre 200 et 400 corps, la plupart à l’état de squelette. Yannick Brossard/INRAP

Des archéologues au service de la justice ? Ce développement, a priori inattendu, devient peu à peu une réalité.« Entre 200 et 400 corps sont retrouvés chaque année en France, dont 80 % sous forme de squelette », indique le général de brigade François Daoust, commandant de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), installé à Pontoise (Val-d’Oise).

La plupart sont des cadavres de guerre, dits historiques, c’est-à-dire dont la date de décès remonte à plus de 30 ans. Parmi les dépouilles « récentes », dix à vingt seulement sont le résultat d’un crime, poursuit l’officier supérieur.

Pour les chercher, le recours à des spécialistes des fouilles s’est peu à peu imposé. « L’archéologue ou l’archéo-anthropologue a une conception différente de celle de l’enquêteur classique de police judiciaire, que ce soit un gendarme ou un policier, observe-t-on à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Ses recherches et investigations ne s’arrêtent pas au corps, elles s’étendent à la scène dans son ensemble : l’archéologue recueille to données, questionne chacun d’entre eux (même s’ils ne semblent pas a priori être liés au crime), recoupe en permanence tous les éléments du puzzle. »

Plus concrètement, « une des règles élémentaires lors de la fouille d’un terrain susceptible d’abriter un corps est de faire très attention aux limites de la fosse. Très souvent, on y trouve des traces de peinture de l’objet (pelle, pioche) utilisé pour creuser la cavité dans la terre, et donc une piste potentielle pour remonter jusqu’à l’auteur des faits », observe Patrice Georges, archéologue à l’Inrap et commandant de réserve à l’IRCGN.

C’est comme cela, en auscultant à quatre pattes, avec la truelle ou une brosse à dents, les contours d’une fosse d’inhumation dans un site d’enfouissement de fûts toxiques en Bretagne, qu’on a pu retrouver un criminel d’après les traces de peinture laissées par les outils.

LE PRINCIPE D’ÉCHANGE DE LOCARD

Cet indice, si petit soit-il, illustre bien le « principe d’échange de Locard », énoncé par Edmond Locard, professeur de médecine légale et pionnier de la police scientifique dès 1920, selon lequel le malfaiteur laisse toujours une empreinte et emporte avec lui des traces du lieu où il se trouvait.

Mais le plus souvent, si on sait globalement où a été enfoui un corps, on ignore l’endroit exact. L’archéologue peut alors faire appel à un ensemble de techniques de recherche. Le géoradar ou radar à pénétration de sol (à micro-ondes et ondes-radio) : cet instrument posé sur roues se pousse comme une tondeuse et permet de détecter les anomalies sous le sol.

DES CHIENS SPÉCIALISÉS

Les enquêteurs utilisent aussi des chiens spécialisés, des bergers belges au flair très développé et entraînés pour reconnaître une dizaine d’odeurs cadavériques. « On les “passe” 15-20 minutes sur la scène de crime, on les laisse se reposer pendant une demi-heure, puis on recommence », détaille Christophe Sergent, maître-chien au Groupe national d’investigation cynophile de Gramat (Lot).

LE DÉCAPAGE AU MOYEN D’UNE PELLETEUSE

Reste alors une troisième option : le décapage au moyen d’une pelleteuse.« Une machine pesant entre 0,5 et 1,5 tonne, équipée d’une lame bien droite, capable de racler le sol centimètres par centimètres, et qu’on manipule avec doigté », précise Patrice Georges, lui-même titulaire d’un permis pour conduire un tel engin.

Ce travail délicat nécessite une bonne entente entre le conducteur et l’archéologue, placé devant la machine, et chargé d’interrompre la manœuvre dès qu’un indice apparaît. « Lors de l’enquête sur le tueur en série Emile Louis en 2004 dans l’Yonne, les enquêteurs ont fouillé un terrain qu’il leur avait désigné avec une pelleteuse munie d’un godet à dents, l’outil adapté pour creuser des tranchées. Résultat : un terrain saccagé, et aucune trouvaille ! », se rappelle Patrice Georges, furieux d’une telle légèreté.

Progressivement, cette dernière technique se développe. Mais, à la différence d’une fouille archéologique classique de l’Inrap, dans une enquête de police judiciaire, il faut l’autorisation du magistrat.

« Or, malheureusement, ce procédé n’est pas encore très connu et il faut parfois que l’archéologue aille argumenter avec le magistrat », observe Patrice Georges. De plus, le médecin-légiste, le seul spécialiste apte à manipuler les os au laboratoire et à pratiquer les autopsies, peut parfois voir d’un mauvais œil l’émergence d’un nouvel acteur dans le champ criminalistique…

L’AFFAIRE DUTROUX A ÉTÉ RÉSOLUE GRÂCE À L’APPOINT DES ARCHÉO-ANTHROPOLOGUES

Mises en œuvre successivement, toutes ces techniques ont conduit à de beaux succès, comme on a pu le voir lors de la quatrième rencontre des « archéologues forensiques » (1) européens qui s’est tenue à Pontoise fin septembre.

L’affaire Dutroux, en Belgique en 1996, a été résolue grâce à l’appoint des archéo-anthropologues. Idem pour les dossiers West (Grande-Bretagne) ou Pickton (Canada).

« Compte tenu de la rigueur et de l’efficacité des techniques d’archéologie préventive, nous poussons nos hommes à faire de même lors des fouilles judiciaires », explique François Daoust. « Pour cela, nous disposons dorénavant de quatre archéologues forensiques au sein de l’IRCGN, dont Patrice Georges, qui est réserviste et forme de nombreux gendarmes enquêteurs à ces nouvelles pratiques », complète la lieutenante Anne Coulombeix, anthropologue et ancienne de l’Inrap.

UNE DISCIPLINE ISSUE DE L’ARCHÉOLOGIE FUNÉRAIRE

Encore timide, la montée en puissance de l’archéologie forensique ne manque pas d’originalité. Elle est issue de l’archéologie funéraire qui, elle, s’attache à étudier des populations via l’analyse de leur âge, de leur sexe, de leur type ethnique, ainsi que des objets déposés dans leurs tombes.

Une archéologie culturelle, collective qui, ayant pour objectif d’en apprendre le plus possible sur cette population, prend du temps. Ce qui l’intéresse finalement, c’est le mobile du crime, plus que le criminel lui-même.

Pour l’archéologie forensique, c’est l’inverse. On vise à mettre en lumière le corps d’une personne, ainsi que les gestes et objets ayant conduit à sa mort. On cherche à faire jaillir la vérité le plus rapidement possible. Comme on le voit dans la série TV « Les experts ». « Un retournement de situation intéressant », conclue Patrick Pion, professeur d’anthropologie et directeur scientifique de l’Inrap.

REPÈRES – UN DÉVELOPPEMENT GRANDISSANT

L’archéologie forensique est née il y a une cinquantaine d’années aux États-Unis, pays où les disciplines médicales, juridiques et archéologiques n’étaient pas très cloisonnées.

Répandue en Europe du nord (Pays-Bas, Grande-Bretagne, Belgique), cette spécialisation s’étend aujourd’hui à l’Europe du sud (Espagne, Italie), à l’Europe centrale (Autriche, Pologne) mais aussi en Russie et en Chine.

L’archéologie forensique a aussi été mise à contribution lors de l’identification des victimes des guerres civiles en Argentine (1996), au Rwanda (1996) et en Bosnie-Kosovo (2006). Elle a de même servi dans les fouilles des charniers des batailles napoléoniennes à Vilnius (Lituanie, 2004), ou lors de l’exploration de la tombe commune d’Alain-Fournier et de ses hommes à Saint-Rémi-la-Calonne (Meuse, 1994).

En 2003, les États-Unis ont créé une agence d’archéologie forensique (Joint Prisoner of War/Missing in Action) pour répertorier tous les Américains disparus lors de conflits (guerres mondiales, de Corée, du Vietnam, du Golfe…).

Denis Sergent« L’ARCHÉOLOGUE OU L’ARCHÉO-ANTHROPOLOGUE A UNE CONCEPTION DIFFÉRENTE »

(1) Les « sciences forensiques » (du latin forum : place publique où l’on rendait la justice) sont l’ensemble des techniques mises en œuvre dans le cadre d’une instruction judiciaire pour résoudre un crime. A ce jour, le terme de forensique n’est pas reconnu par l’Académie des sciences, qui lui préfère le mot criminalistique.

31/12/15 – 09 H 38

Sourcewww.la-croix.com

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