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Le - [DIRECT] Accident mortel de Joué-lès-Tours : deux ans de prison avec sursis requis contre le gendarme

[DIRECT] Accident mortel de Joué-lès-Tours : deux ans de prison avec sursis requis contre le gendarme

11/12/2014 09:00
"Vos excuses n'ont pas de valeur, puisque vous ne reconnaissez rien !" ont plaidé les avocats des parties civiles. - "Vos excuses n'ont pas de valeur, puisque vous ne reconnaissez rien !" ont plaidé les avocats des parties civiles. -  (Photo NR)

« Vos excuses n’ont pas de valeur, puisque vous ne reconnaissez rien ! » ont plaidé les avocats des parties civiles. – (Photo NR)

Suspendu, hier mercredi, pour cause de grève des avocats, le procès de l’accident de la circulation qui avait coûté la vie à une fillette en mai 2011 à Joué-lès-Tours, a débuté ce jeudi, au tribunal de Tours. Cet après-midi, la maman de Mélanie s’est insurgée contre « les mensonges » du gendarme. Celui-ci a présenté ses excuses.

Mis à jour à 19 h 12

Rappel des faits. Le 30 mai 2011, Mélanie, une fillette de 10 ans avait été tuée, lors du dérapage sur le trottoir d’un véhicule de gendarmerie. Elle était en déplacement avec sa classe de l’école Mignonne (quartier de la Rabière à Joué-lès-Tours), elle se rendait au terrain de rugby à proximité. Le groupe avait été fauché par une fourgonnette. Deux autres enfants avaient été grièvement blessés.

Le conducteur de la camionnette, Grégory Potiron, gendarme, comparait ce jeudi devant le tribunal correctionnel de Tours. Il est prévenu d’homicide involontaire, deblessures involontaires et de conduite d’un véhicule à une vitesse excessive eu égard aux circonstances. Il est défendu par Maître Nathalie Valade du barreau d’Angers.

Les temps forts de l’audience :

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« L’attitude » du gendarme examinée  

> 8 h 30. Les parents des victimes, les 21 parties civiles ont pris place dans le tribunal de Tours, dans le calme. Une soixantaine de personnes, dont le maire de Joué-lès-Tours Frédéric Augis, sont présentes dans la salle. L’instituteur de la classe est aux côtés des parents de la petite Mélanie, décédée dans l’accident. La présidente Christine Blanchet rappelle les faits, revenant sur la déposition du gendarme. Celui-ci avait décrit le véhicule comme « incontrôlable » à la sortie du rond-point.

Dès le début, j’ai remis en cause le véhicule, explique d’emblée le gendarme. Les expertises montrent que la roue arrière était imbibée de gazoil. »

La présidente le rappelle à l’ordre. « On parle de vous, pas des expertises ». La présidente reproche au prévenu une attitude de fuite après l’accident.

J’étais choqué, anéanti, explique le gendarme. J’ai porté assistance à une petite fille qui avait, je pense, un bras cassé. Ensuite, j’ai vu les autres, ce qui fait que j’ai quitté la petite fille un peu sèchement pour rejoindre les autres. »

Le gendarme (à droite) qui conduisait la fourgonnette lors de l’accident, peu avant le début de l’audience, ce jeudi. (Photo NR)

Les expertises techniques

Le véhicule pesait 3,3 tonnes, il transportait 7 pneus et revenait d’une mission sur le G8 à Deauville. Le gendarme qui, détient un permis poids lourd, explique qu’il n’avait pas l’habitude de conduire ce type de véhicule.

Le véhicule est parti comme une boule de billard. Il était dangereux. Il a glissé », rappelle le gendarme.

La présidente lui reproche de ne pas avoir vérifié les pneus du véhicule avant de prendre la route.

Ma hiérarchie ne m’a pas donné l’ordre de faire des vérifications complètes. J’ai simplement nettoyé le pare-brise. Ce véhicule ne nous appartenait pas. Ce n’était pas de mon goût de prendre un véhicule qui n’était pas de notre unité. « 

> 9 h 30. La présidente revient sur les compte-rendus des experts :

  1. La première expertise pointe la présence de traces de gazoil sur la route, unbouchon de réservoir mal verrouillé et une baisse de pression sur la roue arrière. La présidente s’étonne que la vitesse de conduite n’ait pas été prise en compte dans cette expertise.
  2. La seconde expertise estime que le véhicule ne s’est pas arrêté au cédez-le-passage.

Sinon il n’aurait pas eu assez d’inertie pour renverser un poteau de signalisation, écraser un arbuste et renverser les enfants », pointe dans son rapport l’expert qui table sur une vitesse de 72 km/h. « Le véhicule n’a pas heurté de trottoir. »

> 11 h . Cette expertise est contestée par le gendarme, qui explique qu’il a tenté de « rattraper » la trajectoire du véhicule. La présidente et le procureur tentent de pousser le prévenu dans ses retranchements, et de lui faire reconnaître une erreur de conduite. En vain.

3. La troisième expertise dit que le véhicule a percuté la bordure, puis accéléréavant de freiner. Le prévenu assure avoir eu la bonne réaction. « Alors vous êtes très fort vues les circonstances » lance la présidente qui examine désormais les témoignages des enfants qui évoquent un véhicule arrivant vite. Le gendarme campe sur ses positions : il a accéléré après le choc avec le trottoir pour rétablir sa trajectoire, il roulait à 35 km/h, et n’a pas vu les enfants. Il reconnait juste une erreur d’appréciation de la courbe du virage.

Divers experts ont tenté de retracer la trajectoire de la fourgonnette, lors de l’accident.(Photo archives NR)

Culpabilité du prévenu ?

> 11 h 50. Après une interruption d’audience de 10 minutes, le tribunal examine des vidéos simulant différents scénarios de vitesse et trajectoire. Les experts maintiennent que si le gendarme avait freiné et non accéléré à la sortie du virage, le drame aurait pu être évité.

Le procureur interroge : « Avez-vous eu, un jour ou une nuit, un doute sur votre culpabilité ?  »

Bien sûr, cela me hante, répond le prévenu. J’ai fait une erreur d’appréciation. Mais cette histoire de réservoir me fait poser des questions. « 

> 12 h 25. Le prévenu remet en cause les expertises. La présidente exprime son exaspération. L’avocate du prévenu Maître Nathalie Valade critique les méthodes de calculs des experts. La présidente lui signale qu’elle aurait pu le faire bien avant l’audience.

Le papa de Mélanie, la fillette décédée lors de l’accident, peu avant le début de l’audience.

Suspension d’audience, reprise à 13 h 30.

Un gendarme sous anxiolytiques ?

> L’audience a repris à 13 h 30, par l’examen de l’état de santé du gendarme. Ce jour-là, il était enrhumé. Après l’accident, il a déclaré aux enquêteurs avoir pris du paracétamol le matin.

« Vous avez menti, et, je le pense, délibérément », insiste la présidente. « Car les analyses toxicologiques ont prouvé la présenced’anxiolytiques et d’un bêtabloquant (pour traiter l’anxiété) dans votre sang. Un traitement que vous preniez depuis 10 ans. »

Le gendarme avait également pris un médicament pour traiter sa rhinite allergique. Il avait ainsi avalé quatre comprimés le matin même.

Je n’ai pas parlé des anxiolytiques, par gêne vis-à-vis de mes collègues. Par honte, par peur que ça se sache, explique le prévenu. Et je ne voyais pas le lien avec l’accident. »

La présidente note que certains médicaments ne devaient pas être associés, et pouvaient être incompatibles avec la conduite d’un véhicule.

Je n’ai jamais ressenti d’effet de somnolence », précise le prévenu, qui se dit anxieux de nature, et stressé au travail.

Aucune expertise n’a permis de faire le lien avec le déroulement des événements. Un témoin a néanmoins entendu le prévenu expliquer à son collègue qu’il s’était endormi.Ce que le gendarme réfute aujourd’hui :

J’étais en pleine forme cet après-midi-là, répète-t-il. Je n’ai jamais eu de problème de somnolence. »

Le gendarme a également caché la prise de ces médicaments à sa hiérarchie.Aujourd’hui, il a repris la conduite, et suit toujours le même traitement. Me Brémant,l’avocate de Delphine et José Moreno, les parents de Mélanie, s’insurge : « Vous ne vous êtes absolument pas remis en cause. Une petite fille est pourtant morte ! «  

Les victimes : « une scène insoutenable »

La présidente raconte cette scène « insoutenable« , avec des enfants « grièvement blessés, avec des plaies ouvertes, qui se tordent de douleur ». L’instituteur témoigne, en larmes, à la barre :

« J’ai vu le fourgon poursuivre sa course en emmenant les enfants avec lui, avec des soubresauts sur plusieurs dizaines de mètres. Je me suis toujours senti responsable. J’avais la responsabilité d’emmener ses enfants, mais pas vers la mort. Je me suis toujours reproché de ne pas avoir été devant ce jour-là pour les protéger.

Un enfant venait d’échanger sa place avec Mélanie. La petite fille de 10 ans est décédée d’un polytraumatisme.

> 14 h 50. La présidente revient sur l’état de santé des autres enfants polytraumatisés: Mohammed qui peine toujours à marcher, Anane encore en fauteuil roulant et opérée plusieurs fois, Marco et Fanta, toujours suivis psychologiquement… Elle parle également de Mathieu qui avait un lien très fort avec Mélanie et qui souffre beaucoup psychologiquement…

L’énumération se poursuit avec les autres enfants de la classe souffrant parfois de graves blessures physiques, ayant nécessité de lourdes prises en charge médicales. La présidente insiste sur le traumatisme moral des écoliers.

Les lieux du drame à Joué-lès-Tours

Le témoignage de la maman de Mélanie

Les parents de Mélanie, Delphine et José Moreno, avec leur avocate, Me Brémant, hier matin, avant le début de l’audience. – (Photo NR, Patrice Dechamps)

Éprouvée mais digne, Delphine Moreno, la maman de Mélanie s’insurge à la barre :

L’essentiel est de reconnaitre ses actes. Le plus difficile pendant ces 3 ans et demi, c’est de ne pas avoir eu d’explications. Il aurait été si simple de dire « j’ai fait une bêtise ». Je disais toujours à Mélanie « faute avouée à moitié pardonnée« . Ce qui a été traumatisant dans toute cette instruction, c’est de ne jamais savoir ce qu’on allait découvrir. Le mensonge a été une trahison. Sans mensonge, notamment sur les médicaments, on n’aurait pas eu trois ans et demi d’expertises. Un gendarme qui ment déshonore toute la gendarmerie…. Ma fille ne reviendra jamais, et la douleur on l’aura toute notre vie… Mélanie c’était aussi le moteur de notre famille, le moteur de sa sœur trisomique…

 

 

Les excuses du prévenu

> Vers 15 h 10. Après l’examen de l’état de santé des victimes, le prévenu est venu à la barre exprimer ses regrets, essuyant quelques larmes :

Je veux m’excuser auprès de toutes les victimes. J’aurais donné ma vie pour Mélanie. J’y pense tous les jours. Je m’excuse. « 

Des excuses que les avocats des parties civiles jugeront « non sincères », plus tard dans la journée.

Le prévenu réaffecté à une brigade mobile 

Après l’accident, le gendarme Potiron a été affecté à un service dans un bureau. Six mois après l’accident, il a pu récupérer son permis pour son usage privé. Il a ensuite demandé à être réaffecté à une brigade mobile (moto) à Nantes, où il travaille aujourd’hui. Il assure ne plus prendre d’anxiolytiques.

N’est-ce pas maladroit d’avoir redemandé cette affectation dans une brigade mobile ? s’insurge l’avocate des parents de Mélanie.

Des excuses jugées « non sincères » par les parties civiles

> 16 h. La parole est aux avocats des 21 parties civiles.

Six avocats défendent les victimes.

  • Maître Cesbron de Lisle représente plusieurs enfants :

Les victimes sont en reconstruction, ce qui passe par la reconnaissance de la vérité et de la culpabilité, plaide-t-il. Or cette reconnaissance pose problème au prévenu. » Puis s’adressant à lui :  « Vos excuses ont peu de portée, car vous ne reconnaissez rien ! Pour les victimes, vous n’êtes pas un homme pardonnable. »

  • L’avocat de Mathieu, l’un des amis proches de Mélanie, fustige « les certitudes catégorielles » du prévenu. « Des certitudes qui n’ont pas aidé les victimes. »
  • Le bâtonnier Maître François De Cros représente une petite fille, qui « rase les murs » depuis l’accident, et l’instituteur Michel Thommereau « qui accumule les souffrances » depuis son départ à la retraite quelques semaines après l’accident. « Il esten communion avec les familles, c’est très fort, c’est très beau. C’est l’instituteur qu’on aurait voulu avoir… Mais parce qu’il est le seul adulte victime, il a ce sentiment d’avoir failli… »
  • Le bâtonnier Maître Benjador représente la ville de Joué-lès-Tours, en présence du maire Frédéric Augis :

Cette audience est décevante. Nous n’aurons que peu de réponse. Rien d’étonnant. Le prévenu est un gendarme qui connait les textes etsuit une tactique : il veut prouver que la cause est extérieure. Or le choc avec le bout de trottoir n’est pas la seule cause de l’accident. Le problème, c’est ce qui s’est passé en vous à cet instant. Il a fallu trois ans d’instruction, à cause de vous, parce qu’il a fallu tout vérifier. Vous auriez admis votre erreur, on aurait compris. Mais vos excuses n’ont pas de valeur puisque vous ne reconnaissez rien… Je n’ai pas entendu d’excuses sincères…

  • Maître Brémant représente plusieurs familles, dont celle de Mélanie :

Une femme m’a dit, « je pensais qu’un gendarme, c’était mieux que moi ». Je veux dire un mot pour tous les parents qui ont extrêmement souffert. L’information de l’accident est partie comme une trainée de poudre dans le quartier. Ils ont tout quitté pour se retrouver dans unescène de guerre. Durant des mois ensuite, ces nombreux parents ont dû donner la main à leur enfant souffrant à l’hôpital […] Durant des semaines, leurs enfants ont dormi avec eux tellement ils avaient peur… »

La plaidoirie de l’avocate des parents de Mélanie

> 18 h. A la première personne, Maître Brémant se fait la porte-parole de l’enfant décédée :

Je m’appelle Mélanie, ça fait 3 ans que j’ai 10 ans. On m’appelle souvent le général, j’aime bien commander, surtout les grands. Avec mon papa, on a un jeu, on apprend les capitales de tous les pays du monde. Et souvent, c’est moi qui gagne. J’ai une petite sœur, elle est différente (trisomique)… Je m’en occupe, je la stimule. Je suis la fierté de mes parents, j’étais une petite fille normale…

Puis évoquant les parents de Mélanie :

Ils me disent « On est jaloux de tout le monde, on ne sort plus… » A la peur de l’oubli, s’est rajoutée la jalousie… »

Les réquisitions du procureur

A 18 h 44, le procureur Benoit Bernard salue la « dignité de la salle ».

Je pensais trouver de la colère, je n’ai vu que dignité, attention et pudeur.

Puis revenant sur les faits :

Un gendarme a le devoir d’exemplarité, mais qui ne peut pas être un devoir d’infaillibilité […] Rien ne permet d’affirmer qu’il a délibérément fait le choix de porter préjudice à autrui. Certes, il a menti, certes il y a la prise de médicaments, mais un collège d’experts a conclu en l’absence de certitudes quant à leur implication sur l’état physique du conducteur qui les prenait depuis longtemps.

Et de rejeter, toujours au regard des expertises, la possibilité que la perte de contrôle ait pu être causée par la fuite de gazoil, la crevaison lente ou l’état général du véhicule.

La perte de contrôle est due à des fautes d’inattention. C’est la vérité judiciaire. Il n’y a pas eu de vitesse folle. Mais le conducteur n’a pas eu le réflexe de freiner. Peut-être même que, dans la panique, a-t-il eu le réflexe d’accélérer… Par contre, je ne comprends toujours pas son mensonge. »

Le procureur assure encore que le gendarme a porté secours aux enfants et qu’il n’a pas fui.

Le procureur Benoit Bernard requiert deux ans de prison avec sursis, l’annulation du permis de conduire avec l’interdiction de le repasser pendant un an.

La plaidoirie de la défense

Maître Nathalie Valade, avocate du gendarme, assure que son client ne dissimule aucun secret.

Personne n’aurait pu arrêter le camion. Quand vous avez votre supérieur hiérarchique qui vous suit, vous êtes forcément prudent.

Puis concernant cette histoire d’anxiolytiques :

Il n’a jamais pu l’avouer, il craignait le regard dévalorisant de ses collègues.

L’avocate évoque maintenant l’état défectueux du véhicule : pneus, réservoir…

Cet accident est la conjonction d’éléments regrettables (pneu crevé, fuite de Gazoil…) dont un seul a été commis par M. Potiron : il a touché le trottoir.

A 20 h 20, Maître Nathalie Valade demande la relaxe de son client.

Avoir pris la bordure du trottoir n’est pas une faute pénale. Mon client a été beaucoup chahuté aujourd’hui. Mais sa vie est brisée, il a des tendances suicidaires et ne parvient plus à avoir des relations normales avec sa fille.

Grégory Potiron ne veut rien rajouter. Le jugement est mis en délibéré au 5 février 2015 à 13 h 30.

Cécile Lascève
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