Articles

Le - Le Sénat s’alarme du « mal-être général » des forces de sécurité

#POLICE

Le Sénat s’alarme du « mal-être général » des forces de sécurité

Le rapport estime que la pression générée par la menace terroriste, les mobilisations sociales ou la crise migratoire concourt à « une augmentation des situations d'épuisement professionnel ».

Le rapport estime que la pression générée par la menace terroriste, les mobilisations sociales ou la crise migratoire concourt à « une augmentation des situations d’épuisement professionnel ». | Photo archives PHILIPPE RENAULT / OUEST-FRANCE

Syndrôme Magnanville, exposition à la violence, matériel vétuste, sentiment de déclassement : un rapport parlementaire pointe les facteurs d’un « mal-être général » des forces de sécurité intérieure. Les sénateurs en appellent à des réformes profondes.

Une commission d’enquête parlementaire s’alarme de la « véritable crise » traversée par les forces de sécurité intérieure, et en particulier la police nationale.

« Malaise »« mal-être »« perte de sens »« démotivation et découragement » : les mots divergent mais pour les sénateurs François Grosdidier (LR) et Michel Boutant (PS), les forces de sécurité intérieure « traversent incontestablement une véritable crise qui met en péril le bon fonctionnement du service public de sécurité ».

32 propositions

Face à un constat particulièrement « sombre », le rapport sénatorial invite à une « une remise en cause énergique » et à « des réformes profondes » qui permettront de « remettre l’institution sur les rails ».

Constituée après la vague de suicides qui a endeuillé les forces de sécurité à l’automne 2017, la mission d’enquête formule une série de 32 propositions visant pêle-mêle une meilleure prise en compte des risques psycho-sociaux, l’amélioration de la gestion des ressources humaines notamment en début de carrière, une formation et un management plus proche « du terrain », l’élaboration d’un livre blanc de la sécurité intérieure puis l’adoption de lois de programmation ou encore la généralisation des caméras piétons.

Syndrôme Magnanville

Pour les sénateurs, le « malaise général » des forces de sécurité intérieure est le fruit de plusieurs facteurs, avec en premier lieu, une exposition croissante à la violence dont le paroxysme est l’assassinat revendiqué par l’organisation jihadiste État islamique de deux fonctionnaires de la police nationale le 13 juin 2016 à leur domicile.

À ce titre, le rapport évoque un « syndrome Magnanville » renforcé par la répétition des manifestations violentes depuis 2016 et l’attaque de policiers aux cocktails Molotov à Viry-Châtillon (Essonne).

La mission d’enquête pointe également le « sentiment de déclassement » qui se nourrit du « grand dénouement matériel » des services. Dans la ligne de mire des sénateurs : le parc automobile « vétuste » et un parc immobilier « en situation critique ».

« Malaise profond »

Au passage, elle tacle les plans immobiliers du ministre Gérard Collomb « totalement insuffisants » et « largement inférieurs de 450 millions d’euros aux besoins identifiés ».

La mission d’enquête estime en outre que la « pression opérationnelle constante » générée par la menace terroriste, les mobilisations sociales ou la crise migratoire a concouru à « une augmentation des situations d’épuisement professionnel ».

Sans surprise, elle épingle « la lourdeur de la procédure judiciaire », qui fait actuellement l’objet d’une réforme et de nombreuses promesses de la Chancellerie et Beauvau.

Avare en compliments sur les directions des deux forces, la mission d’enquête s’inquiète plus particulièrement du « malaise profond » de la police nationale qu’elle estime proche de la crise de la gendarmerie en 1989 résolue par des états généraux et une réforme profonde de l’organisation et des conditions de travail.

Sourcewww.ouest-france.fr

Le grand malaise des flics français

 Par Benoist Fechner, publié le , mis à jour à 

Les policiers français se sentent déconsidérés et coupés de leur haute hiérarchie, selon la commission d'enquête sénatoriale.

Les policiers français se sentent déconsidérés et coupés de leur haute hiérarchie, selon la commission d’enquête sénatoriale.   REUTERS/Christian Hartmann

Une commission d’enquête sénatoriale s’est penchée sur l’état des forces de sécurité, qui menacent de « craquer ». Alarmant.

« La bonne surprise, c’est qu’elle marche encore ». La mauvaise c’est qu’elle tient avec des bouts de ficelles « et la foi chevillée au corps ». Elle, c’est la police. Et ces « bouts de ficelle » coûtent la bagatelle de 12,8 milliards d’euros, soit le budget des forces de sécurité intérieure (police et gendarmerie) alloué pour 2018, en hausse de 1,4 % par rapport à 2017. « Des moyens exceptionnels [encore] consolidés et augmentés », expliquaient les services du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb en octobre dernier, masquant mal le malaise, exceptionnel lui aussi, des flics de terrain sur lequel s’est penché depuis le mois de janvier une commission d’enquête sénatoriale. Créée à l’initiative du groupe Les Républicains, cette commission a sobrement été intitulée « état des forces de sécurité intérieure« . A sa tête, le socialiste Michel Boutant, assisté d’une trentaine de parlementaires. Ils présentent ce mardi les résultats de leurs travaux et leur constat a de quoi faire froid dans le dos.

21 millions d’heures supplémentaires non payées

« Je ne connais pas d’autre administration ou d’autre entreprise qui traite si mal ses employés ». La sentence est signée François Grosdidier, rapporteur de la commission, sénateur LR de Moselle, pour qui « ça a été un choc de le découvrir » au terme des six mois d’enquête. La commission s’est constituée dans un contexte morbide où le nombre de suicides de policiers explose – ils sont passés de 36 à 50 cas entre 2016 et 2017, tandis que 13 étaient déjà à déplorer à la fin du mois de mars 2018; où les flics depuis l’attentat de Magnanville ont compris qu’ils étaient devenus une cible; où à côté des syndicats, les « poulets » se constituent en associations de policiers en colère et n’hésitent plus à manifester publiquement leur désarroi. Un contexte enfin où, en dépit d’une sensible augmentation budgétaire, l’institution parvient à accumuler quelque 21 millions d’heures supplémentaires non payées, tandis que les moyens matériels se dégradent, que les tâches indues s’envolent (gardes statiques, extractions judiciaires…) et que les vies personnelles se délitent sous la charge imposée.

Les flics sont-ils mal aimés? « Ils se sentent méprisés par la population, mal considérés par les magistrats, critiqué par la presse. Mais surtout ils ne se sentent pas soutenus par leur propre institution », estime une source proche de la commission qui pointe « un triple problème humain, matériel et logistique ». Résultat, la police et spécialement les forces de sécurité publique ont le blues, et leur taux de suicide, deux fois supérieur à celui de la population française (14 pour 100 000 habitants), n’est que la partie émergée de l’iceberg.

Six mois d’enquête aux allures de thérapie de groupe

Pour prendre le pouls du malade, la commission ne s’est pas contentée d’entendre les institutionnels et les syndicats. Elle a procédé à des dizaines d’auditions, allant du simple flic au ministre de l’Intérieur, en passant par les directeurs centraux de la police. Elle s’est projetée sur le terrain, dans des casernes, des commissariats, ou dans des centres de soins dévolus aux policiers. Parallèlement « beaucoup de remontées de policiers » leur sont parvenues en direct. Dans la boite mail des sénateurs, les portières qui se décrochent en pleine intervention faute d’entretien, le matériel antiterroriste fraîchement livré mais qui n’entre pas dans les véhicules mis à disposition, les enfants qui préfèrent cacher à l’école la profession de leur flic de mère, ou les délinquants mineurs qui les narguent faute de réponse pénale adaptée. Toute ces voix portent un même cri: « J’ai rarement entendu un telle expression collective de désespérance », déplore François Grosdidier.

A ceci près que, « plus on monte dans la hiérarchie, plus c’est difficile de reconnaître les problèmes ». Or, « tant qu’on s’entête dans le déni, on est pas près de guérir », diagnostique le sénateur pour qui la commission aura parfois pris des allures de thérapie de groupe. C’est d’ailleurs l’autre expression du malaise: si les flics de base et les officiers semblent encore partager une certaine communauté de destin, la distance s’installe avec le corps des commissaires, et la base semble totalement coupée de sa haute hiérarchie, résument les sénateurs pour qui « on est aujourd’hui à la limite de la rupture dans la police ».

Dans la gendarmerie, leur constat est à peine moins sombre, poursuit le rapporteur qui estime que les gendarmes tiennent « un peu par miracle et beaucoup par esprit de corps ». « Les généraux nous ont semblé plus lucides que leurs homologues de la police, mais ce sont des militaires. Ils nous ont assuré que même à poils, ils poursuivraient la mission ». Lors d’une visite à Satory (la plus grande caserne de gendarmerie de France, située dans les Yvelines), le rapporteur relate avoir plongé dans un monde d’une insalubrité folle, où tout concourt à démontrer la gabegie de l’institution. Ici, un chauffage central suranné qui le dispute à grand frais à du simple vitrage d’un autre siècle et à des carreaux cassés. Là, des compteurs électriques rafistolés avec les moyens du bord, ou des baignoires sabot survivantes des années 1950. « Les gendarmes étaient gênés, même sans vouloir à tout prix cacher la misère, ils aiment se présenter sous leur meilleur jour ». Raté.

L’esprit de corps ne fera pas de miracles pour l’éternité averti d’ailleurs François Grosdidier: « L’individualisme de l’époque gagne aussi du terrain [chez les pandores] et la contrainte que fait peser le métier sur leur vie privée est de moins en moins soutenable chez les jeunes effectifs ». 

Thérapie de choc

Pour y remédier, la commission d’enquête n’apporte aucune solution miracle, mais préconise une thérapie de choc et de longue haleine. « Notre constat va bien au-delà du malaise auquel on pensait s’attaquer, estime François Grosdidier. Il est profond. Et certaines de ses causes ont dix ou vingt ans ». Or tandis que la maîtrise de la dépense publique demeure impérieuse, « dans le budget actuel, le retard est impossible à rattraper », assène la commission qui préconise une loi de programmation sur trois, cinq ans ou plus, qu’elle estime nécessaire « aussi bien à des fins de bonne gestion que de motivation des troupes ». En clair, investir et payer aux forces de sécurité leur dû.

Si rajeunir le parc automobile, étendre le parc immobilier, faire en sorte que la troupe n’ait plus à payer de sa poche pour avoir un matériel décent, ou régler les arriérés de primes et salaires se révélerait coûteux, d’autres mesures sont plus simple à mettre en oeuvre, veut croire la commission. Elle voudrait par exemple en finir avec la séparation horizontale entre les trois corps de la police (gardiens, officiers et commissaires) et instituer une académie de police avec un tronc commun dans le cadre duquel tous se côtoieraient. « Il nous semble primordial que les gradés partagent la condition de la troupe comme c’est un peu le cas chez les militaires », estime François Grosdidier. Dans la même veine, ils appellent à une révolution managériale: « Il faut apprendre aux officiers à gérer l’humain ».

En vrac, ils préconisent d’alléger la procédure pénale – un chantier déjà sur la table du gouvernement – pour libérer du temps d’enquête pour la police judiciaire, de généraliser la pratique du débriefing, pour accompagner les hommes et favoriser la remontée d’informations. A peine plus anecdotique, la commission suggère de favoriser la pratique du sport sur le temps de travail, comme le font par exemple les pompiers. « Ce n’est plus d’expérimentation dont on a besoin, mais d’une véritable révolution culturelle », estime l’élu de Moselle.

Les sénateurs espèrent une réaction du gouvernement même s’ils concèdent qu’il est très loin d’être seul responsable d’une situation largement héritée des précédents quinquennats. « Sans réaction de sa part, on aura au moins une solide base argumentaire pour embêter l’exécutif, en séance, chaque fois que le débat aura lieu », menace le rapporteur LR de la commission.

Sourcewww.lexpress.fr

Be Sociable, Share!