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Les mémoires de Locronan

Nous avons vu par ailleurs que la gendarmerie avait été créée sous la Révolution et implantée dans la maison du haut de la place, à l’angle de la rue Saint-Maurice, malgré tous les inconvénients de cet édifice. Un rapport de 1806 souligne l’urgence des réparations indispensables1 : « La maison nationalle qu’occupe la brigade de gendarmerie à Locronan ayant été batie à deux reprises ou plutôt n’étant que la réunion de deux petites maisons, la charpente a de l’inégalité sur son toit ; néanmoins, est dans le cas de durer encore longtemps en la maintenant à l’abri des injures du temps. Si au contraire elle est laissée dans l’état où elle est aujourd’huy, l’état de dépérissement augmentera de jour à autre, surtout en la mauvaise saison. Et il n’y a plus de doute que sous cinq ans il résultera une perte entière de cette charpente et même de la maison entièrement…« .

C’est sans doute pourquoi en 1815,  elle fut transférée au bas de la place, dans l’ancien hôtel de la demoiselle Pommier, dit hôtel de la Compagnie des Indes, qui avait été acquis par Germain Jean Guillaume de Leissègues Rozaven par un acte daté du 2 décembre 1788, suivi de la prise de possession du 3 mars 17892.

Le bail de location daté du 4 mai 18163, passé entre le préfet et le propriétaire, stipule que ce dernier « donne au gouvernement, par bail à loyer de six années consécutives, la maison qu’il occupait à Locronan et située au bas de la place, pour le casernement de la gendarmerie stationnée audit bourg de Locronan« . Ladite maison consistant, selon l’article premier, « au Retz de Chaussée, en une cuisine, arrière cuisine, quatre appartements à feu et un grand magasin, lequel grand magasin est réservé par le bailleur ; au premier en huit appartements dont sept à feux ; au deuxième étage, en une chambre un cabinet et deux grands greniers, des caves au dessous de la maison, et derrière une grande cour, une grande remise avec grenier au dessus, deux écuries et un grand appentis pour loger le bois « .

Il est noté que « le présent bail a été continué depuis le premier juin 1815 et finira le premier juin 1821« .

Mais cette maison aussi est vétuste et nécessite de nombreuses réparations qui seront exigées lors du renouvellement du bail de 1822 : la toiture est à refaire, la pluie pénètre à l’intérieur et dégrade les murs et les planchers ; ceux-ci sont pourris en plusieurs endroits, tout comme plusieurs fenêtres etc. Le propriétaire doit accepter de faire des travaux, qui n’avancent sans doute que très lentement puisque la situation est toujours aussi désastreuse lors du bail de 1832. Mais ce local reste le seul permettant de loger toute la brigade ; d’après les registres de recensement, les gendarmes habitent encore sur la place en 1861 et 1866, mais en 1872 ils occupent un immeuble de la rue du Four.

Un nouveau bail4 avait été signé le premier décembre 1864 avec le sieur Forestier propriétaire à Locronan, pour 18 années consécutives, moyennant 1350 francs par an à partir du premier juillet 1866. Il ne sera plus question de réparations, car l’immeuble venait d’être construit. Sur le cadastre, la construction nouvelle de Monsieur Forestier consiste en une maison et un magasin terminés en 1866 sur le lot numéro 94, IIème division. Sa description détaillée sera faite lors du bail de 18825.

La famille Forestier va consentir la location jusqu’à l’achat des bâtiments par le département en 1930, ainsi qu’en témoigne une note du préfet6 : « Dans sa séance du 16 mai 1929, le conseil général a décidé l’acquisition de la caserne de gendarmerie de Locronan. A sa dernière session, il a voté l’inscription au budget primitif de 1930 du crédit nécessaire au payement des dépenses de cette acquisition. En conséquence, j’ai chargé Me Le Mer, notaire à Plogonnec, de la préparation du projet d’acte de vente de l’immeuble dont il s’agit ».

Aujourd’hui les gendarmes occupent une nouvelle caserne datant des années 1970, et qui avait été plastiquée en juillet 1976 avant la fin des travaux (action revendiquée par le Front de Libération de la Bretagne)7.

Parmi les affaires traitées par la gendarmerie, nous évoquerons uniquement celle qui s’est conclue par la révocation du maire en 1854. Les faits sont rapportés par le gendarme Glévéo8 :

« Ce jourd’hui, seize août 1854, à onze heures du matin, nous soussignés Glévéo Guillaume, gendarme à cheval à la résidence de Locronan, département du Finistère, revêtu de notre uniforme et conformément aux ordres de nos chefs, étant de service à notre résidence, avons aperçu sur la place de cette localité un porc qui circulait sans gardien ni conducteur et comme plusieurs plaintes nous ayant été portées que ces animaux malfaisants et féroces dévastaient les récoltes et menaçaient de dévorer les enfants qui se trouvaient sur leur passage, je me suis approché pour l’arrêter afin de le reconduire à son propriétaire, mais celui-ci m’étant inconnu, j’ai conduit ce porc en fourrière chez un nommé Alexandre Montarincourd, aubergiste à Locronan. Au moment ou je venais de ramasser cet animal, un nommé Brélivet Yves, âgé de 40 ans, aubergiste, né et demeurant à Locronan, est venu sur moi comme un furieux, en me disant avec menaces qu’il me défendait de ramasser ce porc, que ce n’était pas un tailleur comme moi qui ferait la loi à Locronan, que c’était à lui et aux autres qui me payaient à être chargés de ce soin, de plus que je n’avais pas le droit de rien faire sans la signature du maire ; voyant les insultes et menaces que cet individu proférait contre moi, je l’ai invité à se retirer, ou sans quoi j’allais être forcé de procéder à son arrestation ; mais au lieu d’obtempérer à cette injonction, il s’est emporté de nouveau en s’avançant vers moi, fermant les poings et menaçant de me frapper. Voyant l’exaspération croissante de cet individu et l’attroupement qui se formait autour de nous, je l’ai, conformément à l’article 301 du décret impérial en date du 1er mars 1854 sur le service de la gendarmerie, mis en état d’arrestation aidé du susdit Montarincourt que j’ai requis pour me prêter main forte à ce sujet. La nommée Annette Le Bras, femme Brélivet, m’a aussi insulté, en me disant que je ne devais pas être si fier, que tous mes parents étaient des malheureux. Ledit Brélivet a été déposé à la chambre de sureté de notre caserne, pour être demain conduit devant Mr le procureur impérial et force est restée à la loi. Ledit Montarincourt et sa femme nommée Phanie Morin ont été témoins de toutes ces insultes et menaces.

Vers 7 heures du soir, Mr Morvan, maire de Locronan, étant rentré de la foire de Ménez-Hom, a appris l’arrestation dudit Brélivet ; il s’est aussitôt, sans prendre aucune information, transporté à la caserne où je me trouvais toujours seul et a été de son autorité privée à la chambre de sureté pour mettre le prisonnier en liberté ; ayant entendu du bruit vers la prison, je m’y suis aussitôt transporté, croyant que c’était le prisonnier qui tentait de s’évader ; mais à mon arrivée, Mr le maire s’est présenté à moi d’un air furieux en me demandant pourquoi je m’étais permis d’arrêter un homme de sa commune sans son autorisation, en même temps il a saisi son chapeau entre ses mains en le broyant d’un air de rage et s’avançant sur moi me faisant des menaces comme pour me frapper et probablement il l’aurait fait sans l’arrivée de la femme du gendarme Walbott et de demoiselle Alexandrine Wolff, âgée de 21 ans, institutrice chez Mr Royer, capitaine d’artillerie attaché à la poudrerie de Pont-de-Buis. Voyant les insultes que me faisait cette autorité dans l’exercice de mes fonctions, je l’ai invité à sortir de la caserne ou sans quoi j’allais être obligé de procéder à son arrestation ; après cette injonction, il est sorti non sans me faire des menaces jusqu’à son arrivée à son domicile. Un Mr Chipon Louis, maréchal à Locronan, a été témoin des menaces qu’il me faisait en sortant de la caserne.

Ce magistrat est toujours en opposition avec le service de la Gendarmerie. Le 13 août courant, il a réuni un conseil et dans cette séance il a excité le conseil municipal contre la gendarmerie en disant qu’elle était trop sévère en exigeant que les auberges fussent toujours fermées à l’heure prescrite par les règlements et que pas une voiture ne pouvait stationner devant les auberges de cette localité sans être gardée, que ceci pouvait bien être toléré, qu’autrefois il n’en était pas ainsi, que s’ils voulaient en faire une pétition pour être présentée à Mr le sous-préfet il saurait bien nous bâillonner et a recommander à son conseil même avec menaces de ne pas faire connaître qu’on pétitionnerait contre la gendarmerie. Ce maire cherche par tous les moyens possibles à paralyser l’action de la gendarmerie. C’est pour la deuxième fois qu’il s’est présenté dans cet état à la caserne pour enlever un prisonnier, choisissant toujours le moment où le brigadier est absent pour faire ses révolutions. De tout quoi nous avons rédigé le présent procès-verbal pour être remis à Mr le procureur impérial à Châteaulin et copie en sera transmise à M. le chef d’escadron commandant la gendarmerie« .

Le maire sera révoqué par arrêté préfectoral du 28 septembre 1854, et par autre arrêté du 20 octobre 1854, « M. Le Lons Corentin est nommé maire de la commune de Locronan, en remplacement de M. Morvan, révoqué ».

Quant aux porcs, ils hantaient toujours les rues de Locronan au début du XXème siècle.

Les porcs

Notes

1 Arch. Dép. Finistère, 4 N 55, Etat de la maison nationale occupée par la brigade de gendarmerie de Locronan, 1806.

2 Arch. Dép. Finistère, 4 E 71 9, Acte possessoire par  Germain de Leissègues, de droits dépendants de la succession du sieur Chardon, 1789.

3 Arch. Dép. Finistère, 4 N 55, Bail de location de la maison Leissègues Rozaven au bas de la place, 4 mai 1816.

4 Arch. Dép. Finistère, 4 N 55, Bail de location du premier décembre 1864.

5 Arch. Dép. Finistère, 4 N 55, Renouvellement du bail de location, 1882.

6 Arch. Dép. Finistère, 4 N 55, Achat des bâtiments de la gendarmerie par le département, 1929.

7 Ouest-France, 28 juillet 1876.

8 Arch. Dép. Finistère, 2 M 101, Le maire contre les gendarmes, 1854.

Source : www.memoires-locronan.fr

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