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SOCIÉTÉ POLICE ET JUSTICE

Quand une infime goutte de sang suffisait à coincer Nordahl Lelandais…
En février 2022, la cour d’assises de l’Isère a condamné Nordahl Lelandais, 39 ans, à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 22 ans.
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Quand une infime goutte de sang suffisait à coincer Nordahl Lelandais…

Série d’été – L’hémoglobine ne ment pas (3/6)

Par Laurent Valdiguié

Publié le 30/07/2022 à 6:00

Du sang, il y en a généralement partout, en infime ou en grosse quantité. Des spécialistes savent « faire parler » les traces découvertes sur les scènes de crime.

Dans l’affaire de la petite Maëlys de Araujo, le meurtrier a été confondu par une trace retrouvée dans une partie inaccessible du coffre de sa voiture. En « expert », il était parvenu à faire disparaître toutes les autres. Pendant trois mois, le colonel Emmanuel Pham-Hoai, biologiste de la gendarmerie, a scruté l’intérieur d’une Audi A3. 

Dans le plus grand secret, à l’hiver 2017, un bras de fer à distance s’est joué entre deux hommes. D’un côté, le colonel Emmanuel Pham-Hoai, alors chef du département biologie à l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN). De l’autre, Nordahl Lelandais, double meurtrier du caporal Noyer et de la petite Maëlys. Le colonel et le tueur ne se sont vus qu’une fois, au procès à Grenoble, le 10 février 2022. Ce jour-là, dans le box, Lelandais est resté impassible quand le gendarme a raconté les grandes lignes de son travail titanesque. « Il s’en est fallu d’un rien, c’était digne d’une série télé » confie aujourd’hui à Marianne le colonel Pham-Hoai. Un véritable exploit pour découvrir cette minuscule goutte de sang…

En cette fin de mois d’août 2017, la France entière retient son souffle depuis la disparition de cette petite fille lors d’un mariage, dans la nuit du samedi 26. Lelandais, invité à la noce, fait tout de suite figure de suspect. Il est entendu comme témoin dès le dimanche 27. Mais il nie avec force et aplomb. En sortant de cette première audition, cet ancien militaire passe près de deux heures dans une station de lavage pour récurer de fond en comble sa voiture, une Audi A3 grise. Le mardi suivant, l’Audi est inspectée une première fois par les services de l’identité judiciaire de la police. Une dizaine de prélèvements sont effectués à la recherche d’une trace de Maëlys. Rien. Mais la juge d’instruction Gaëlle Bardosse, co-saisie du dossier avec deux collègues, a l’intuition que Lelandais cache quelque chose. Le 31 août, le voilà en garde à vue.

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Il est décidé d’envoyer l’Audi A3 à Pontoise, dans les locaux de l’IRCGN. Pas question de la transporter depuis Grenoble sur une dépanneuse ordinaire. « Elle est arrivée dans un camion fermé transportant habituellement des voitures de course », se souvient Emmanuel Pham-Hoai. Le jeudi 1er septembre, à 6 heures du matin, l’Audi fait son entrée dans le garage de l’IRCGN et est immédiatement bâchée pour éviter toute « pollution ». Habillés comme des cosmonautes, les hommes du colonel Pham-Hoai s’activent. « Première surprise : d’extérieur elle était impeccable, se souvient le gendarme. Deuxième surprise : l’intérieur aussi était impeccable et sentait encore le produit d’entretien. Je n’avais jamais vu une propreté pareille dans un véhicule à expertiser… On savait aussi qu’elle avait été inspectée par l’identité judiciaire. C’est dire si on n’était pas très optimistes sur nos chances de trouver quelque chose ». Une course contre la montre s’enclenche. Maëlys est peut-être encore vivante… « On est partis à la recherche d’empreintes digitales, de traces génétiques, de résidus chimiques… »

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L’Audi A3 est partagée en « zones de recherches ». Environ 200 prélèvements sont effectués en urgence. Rien. « On commençait à douter, et puis vers 2 heuresdu matin, le 2 septembre, quelque chose s’est mis à matcher » se souvient le colonel. Sur le commutateur de phare, un bouton en bas à gauche du volant, la machine détecte un ADN mélangé de Maëlys et de Lelandais. À 3 heures, le colonel Pham-Hoai appelle le directeur d’enquête à Grenoble. « On a quelque chose… » Pas encore de quoi le confondre totalement, mais suffisamment pour que Lelandais change une première fois de version. Il admet que la fillette, « avec un garçon », est montée dans la voiture, « pour voir si ses chiens y étaient ». Lelandais sort de garde à vue, et le colonel Pham-Hoai est prié de creuser. « Jusque-là, j’avais un profil ADNde Maëlys avec 16marqueurs.Je voulais travailler avec 21marqueurs, je me souviens avoir demandé d’autres objets lui ayant appartenu. » Le lendemain, une brosse à dents de l’enfant est acheminée à l’IRCGN par hélicoptère… L’Audi A3 est ensuite démontée pièce par pièce. Les sièges. La vitre passager. Le mécanisme de la portière. La poignée. Tout y passe. Mais rien. Toujours rien. Encore rien. Le coffre est passé au peigne fin. Du Bluestar, ce produit qui fait ressortir les traces de sang, est pulvérisé partout. En vain. « On n’a pas trouvé la moindre trace. On n’y croyait plus », admet le colonel.

UN POINT ROUGE DE 3 MM

Jusqu’à ce coup de fil de la juge Bardosse, à la fin du mois de décembre. « Elle m’appelle et me dit qu’elle vient de regarder pour la énième fois la vidéo de la station de lavage. Elle trouve que Lelandais passe beaucoup de temps à nettoyer la partie arrière gauche de son coffre » explique Emmanuel Pham-Hoai. « J’étais hypersceptique. Le seul truc que l’on n’avait pas fait dans le coffre, c’était de démonter les garnitures plastiques. Comme elles sont étanches, je ne voyais pas ce qu’on pouvait espérer trouver dessous. Au mieux des microparticules… Et puis, en démontant les garnitures, on risquait de tout abîmer. Donc j’étais sceptique. » Mais la juge insiste. Un gendarme de l’équipe ayant travaillé dans une concession automobile se renseigne pour apprendre comment démonter « proprement »les parties fixes du coffre. Quelques jours plus tard, l’opération de la dernière chance commence. « On était quatre autour de la voiture quand il a enlevé la pièce, précise le colonel. On a vu apparaître la tôle du coffre, et là, on a tous compris, dans la même seconde. » Une infime goutte de sang saute aux yeux de ces enquêteurs spécialisés. Un point rouge de 3 ou 4 mm… « Il était 11 heures du matin on a immédiatement fait un premier prélèvement pour voir si c’était bien du sang humain et ça en était ». Le cœur des gendarmes de l’IRCGN s’arrête de battre. Le reste de la goutte est acheminé avec d’infinies précautions au 2e étage du bâtiment et introduit dans la machine à séquençage génétique. Le résultat est attendu pour 19 heures. « Entre nous, on était divisés : certains pensaient que c’était du sang de Maëlys, d’autres que c’était celui du caporal Noyer » glisse Emmanuel Pham-Hoai. Un peu avant 19 heures, la machine est formelle. C’est elle…

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Comme l’explique l’adjudante-chef Céline Nicloux, experte de l’unité morphoanalyse des traces de sang de l’IRCGN, et présente lors de la découverte, il a fallu un concours de circonstances. Selon elle, quand Lelandais a placé la fillette dans son coffre, tête côté gauche, du sang a coulé du visage de Maëlys dans l’interstice d’un anneau d’attache rétractable. Puis une partie de ce sang a coagulé sur la tôle. Lors du nettoyage à grande eau du lendemain, une partie du sang initial a été dilué. Sauf cette petite goutte dont la présence tient du miracle… « Quand on a su, j’ai d’abord appelé la juge Bardosse et on était très émus tous les deux » confie le colonel Pham-Hoai. La magistrate est en larmes. L’information restera confidentielle jusqu’en février 2018, provoquant alors les aveux de Lelandais. Échec et mat sur le fil du rasoir. « Sans la goutte de sang, je l’aurais fait acquitter »a déclaré son avocat, Me Alain Jakubowicz, au sortir du procès. Un hommage involontaire au travail des enquêteurs. Et à la persévérance admirable d’une juge d’instruction.

Source : www.marianne.net

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