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Le - Castaphobie

Castaphobie

«Casta». Nous l’appellerons «Casta». Non pas Laetitia, top model, toute la beauté de la Corse, mais Castaner Christophe, 53 ans, ministre de l’Intérieur. L’une est en semi-retraite des podiums; l’autre, beaucoup voudraient carrément l’y mettre. Y a-t-il donc ministre plus impopulaire? Un vrai martyr de la macronie. «Démission!», crient en chœur des gens aussi raisonnables que les Gilets jaunes, les Black Bloc, Eric Ciotti ou Marine Mélenchon. Démission! Au moins deux fois par semaine, sinon trois, ils s’égosillent tous. Démission!…

L’autre jour dans la calme cité de Villegailhenc (Aude), 30 manifestants (29,5 selon la police) devant la boulangerie qui fait face à la mairie. De l’autre côté, un cordon de gendarmes en tenue de maintien de l’ordre. A l’entrée du village, encore des gendarmes. A la sortie, toujours des gendarmes. Mais que se passe-t-il donc? C’est grave? je demande. «Oh, que non! C’est Castaner!», dit-on d’un air entendu. Il était simplement venu sur le terrain, un an après le déluge meurtrier subi par la commune. A priori, ça partait d’un bon sentiment, et pourtant dès qu’il paraît, les foules rameutent et c’est un même cri : Casta… niet! Au point que cette castaphobie nous le rendrait sympa. A sa place, imaginez un seul instant Ciotti, sa moindre apparition ferait tourner le lait.

Notre Casta a donc choisi la pire occupation gouvernementale. Responsable en chef de tous les commissariats de France, accusé à la première bavure, coupable dès la seconde, condamné au moindre accident de képi, exécuté à la première lacrymo. Dès qu’il relève le col du manteau, qu’il chausse ses Ray-Ban®, dès que sa barbe dépasse celle d’un joueur de poker décavé, dès qu’il réhabilite le slow dans une soirée en discothèque, ça devient une affaire d’Etat. C’est qu’il y a, dans sa dégaine d’homme du Sud, un côté Tonton flingueur. On le verrait bien aux côtés de Charles Pasqua, Lino Ventura et Bernard Blier dans la scène culte «C’est du brutal!» On ne devrait jamais quitter Forcalquier – ni le parti socialiste.

Pourquoi défendre un ministre de l’Intérieur, alors qu’il peut très bien le faire lui-même? Il a la matraque avec lui. Et des escadrons de gendarmes playmobiles comme soldats de plomb. Depuis des lustres et dans toutes les contrées du monde, un ministre de l’Intérieur a toujours mauvaise réputation, cachottier des gros secrets d’Etat, écraseur du peuple, le Javert permanent. Mais pourquoi donc a-t-il choisi un tel boulot? Pourquoi pas secrétaire d’Etat aux Sports, quelque chose de plus décontracté? Même devise que place Beauvau : «Allez les Bleus».

Nos contestataires savent-ils d’ailleurs que le tout premier ministre de l’Intérieur français était un révolutionnaire? Le poste a été créé en août 1790 dans la belle pagaille des sans-culottes, et occupé par un certain François-Emmanuel Guignard de Saint-Priest – un nom à coucher dans une chambre Louis XVI. Lui, contrairement à Castaner, il a démissionné au bout d’un an. Sans la Bastille, ce n’était plus tenable.

Depuis lors, il a coulé du sang sur les pavés. Des dizaines et des dizaines de ministres se sont succédés à l’Intérieur : Joseph Fouché, l’éminence grise de Napoléon, Adolphe Thiers, boucher d’Etat, et d’autres encore, certains de plus noble envergure, Gambetta, Clemenceau, Mitterrand, et même Michèle Alliot-Marie, seule femme d’Intérieur, qui, rappelez-vous, pour faire le ménage en Tunisie, voulait céder ses propres lacrymos à Ben Ali. Au moins, ce bon Castaner les garde pour lui.

par Jean-Claude Souléry

Source : www.ladepeche.fr

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