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Le - Le statut des militaires menacé par la justice européenne

Le statut des militaires menacé par la justice européenne

Un arrêt de la CJUE estime que le temps de travail des soldats doit être encadré lorsque ceux-ci n’assurent pas des missions urgentes pour la nation.

Par Guerric Poncet

Publié le 15/07/2021 à 19h21 – Modifié le 16/07/2021 à 07h52

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, jeudi 15 juillet 2021, un arrêt sur le temps de travail des militaires en désaccord avec la position défendue par la France. Saisie par la Slovénie, confrontée à un militaire contestant sa solde réduite lors des périodes de garde, la plus haute juridiction européenne a estimé que les militaires ne peuvent être exclus de la portée de la directive européenne de 2003 sur le temps de travail. En clair, le modèle français d’un statut militaire fondé sur une disponibilité en tout temps et en tout lieu, défini par le Code de la défense, pourrait être mis à mal.

« Nous allons analyser cette décision et en tirer des principes d’interprétation », explique-t-on au ministère des Armées, où l’on précise que la portée exacte de l’arrêt « doit encore être étudiée ». Lors de l’audience en septembre 2020, la France avait plaidé avec l’Espagne et la Slovénie pour une exclusion complète des militaires de la portée de cette directive limitant le temps de travail hebdomadaire à 48 heures et imposant un temps de repos journalier de 11 heures consécutives.

« La France n’a pas obtenu gain de cause »

L’Allemagne avait quant à elle envisagé de distinguer selon les catégories d’activités des militaires, ouvrant la voie à un encadrement du temps de travail des militaires effectuant des tâches non liées immédiatement ou dans l’urgence à la sécurité de la nation et à la protection de ses intérêts. En accord, semble-t-il, avec la position allemande, l’arrêt de la Cour précise que les déploiements des soldats en opérations extérieures ou intérieures ainsi que les préparations opérationnelles sont bien exclus de l’encadrement du temps de travail.

« Sur l’essentiel, la France n’a pas obtenu gain de cause », juge-t-on au ministère des Armées, où l’on précise que « la ministre et le chef d’état-major des armées sont très préoccupés ». Le « caractère unitaire du statut militaire », dans les armées et la gendarmerie, n’est, selon le ministère, pas compatible avec l’idée de découper selon les activités . « C’est un facteur de la cohésion des forces armées : le général et le soldat du rang partagent cette contrainte de disponibilité », ajoute-t-on à l’hôtel de Brienne. De plus, « les militaires qui sont affectés à des fonctions administratives, par exemple, peuvent à tout moment basculer vers des activités opérationnelles », précise encore le ministère.

Le cas délicat des gendarmes mobiles

Il n’y a pas de recours possible contre un arrêt de la CJUE, qui statue en dernier ressort. Le ministère envisage toutefois de « répondre au droit par le droit », et la France pourrait « lancer des initiatives pour faire évoluer la législation européenne ».

Au-delà des opérations militaires, l’arrêt pourrait avoir des conséquences majeures sur le maintien de l’ordre en France, car il concerne aussi la gendarmerie et donc les groupements de gendarmerie mobile. Ces derniers sont très largement employés sur tous les fronts de la contestation sociale en France, sans compter leur temps de travail, à l’inverse des CRS, qui, avec un statut de policier, ont un temps de travail strictement encadré. La gendarmerie mobile est un outil critique de l’exécutif, et l’encadrement du temps de travail de ces militaires obligerait l’État à augmenter en urgence le recrutement dans les unités de maintien de l’ordre.

Cet arrêt de la CJUE était très attendu par la France, qui dispose de l’armée la plus active en opération de toute l’Union européenne, avec des milliers de militaires déployés en permanence hors de ses frontières, un siège au Conseil de sécurité de l’ONU et une armée entièrement professionnalisée. « La France n’a pas délégué l’organisation de ses forces armées à l’Union européenne », tonnait déjà, en février, un conseiller ministériel qui nous avait alertés sur le sujet.

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Source : www.lepoint.fr

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