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Le - Rattachement de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur

Rattachement de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur: la Cour des comptes émet plusieurs critiques et propositions

Donner une «valeur réglementaire» à la «charte du gendarme», à l’image du code de déontologie de la police nationale: telle est l’une des propositions de Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, dans deux «référés» relatif à «l’exercice des fonctions disciplinaires, d’audit et d’étude au sein de la direction générale de la gendarmerie nationale», datés des 24 et 27 février 2012 et adressés aux ministères de la Défense et de l’Intérieur. Ces deux documents, accompagnés des réponses de Laurent Teisseire, directeur du cabinet civil et militaire de l’ancien ministre de la Défense, Gérard Longuet, et de Claude Guéant, ancien ministre de l’Intérieur, ont été mis en ligne par la Cour, vendredi 29 juin 2012. Le magistrat estime en effet que la charte du gendarme «se présente comme un simple corpus doctrinal». L’évolution proposée permettrait de donner une «meilleure similitude» aux textes de la gendarmerie et de la police, « afin de faciliter leur compréhension par les citoyens».

«Les grands principes d’éthiques et de déontologie [de la gendarmerie] figurent dans le code pénal et de la défense et ne justifient pas l’élaboration d’un nouveau texte réglementaire», répond Laurent Teisseire pour le ministère de la Défense, jeudi 19 avril 2012. «En matière de déontologie, les règles normatives aujourd’hui en vigueur me paraissent suffisantes», abonde Claude Guéant dans sa réponse, rédigée le jeudi 3 mai 2012. «La recherche d’une similitude avec le code de déontologie semble inadaptée pour tout ce qui tient à l’état militaire.»
Voici les autres propositions et critiques relatives à la gendarmerie proposées par la Cour des comptes dans les deux référés:

FONCTION DISCIPLINAIRE.

«L’intégration de la gendarmerie nationale au sein du ministère […] de l’Intérieur n’a pas conduit, au moins formellement, à conférer à ce dernier le pouvoir disciplinaire sur les gendarmes», écrit Didier Migaud. «Le régime disciplinaire et l’exercice du pouvoir disciplinaire sur les gendarmes -3600sanctions prononcées en moyenne par an, tous niveaux confondus- montrent […] une application des sanctions de 60 à 70 % plus importante qu’elle ne l’est pour les policiers. Cette différence mériterait d’être analysée.

«Il conviendrait de conduire une étude plus fine qui permettrait de connaître la nature des faits à l’origine des sanctions, répond le ministère de la Défense. En tout état de cause, l’état militaire auquel sont soumis les militaires de la gendarmerie induit des obligations plus strictes que celles définies par le statut général des fonctionnaires et le statut spécial appliqués au personnel de police. Claude Guéant indique pour sa part que «lus que le nombre ou la sévérité des sanctions, la discipline conjuguée au contrôle hiérarchique est la force des armées et de la gendarmerie. Toute comparaison entre les deux forces doit donc tenir compte de la différence fondamentale de statut des deux forces».

La Cour des comptes rappelle par ailleurs que le pouvoir disciplinaire sur les gendarmes reste dévolu au ministre de la Défense. «Cette particularité tient surtout du symbole et se révèle sans incidence réelle.» Selon Laurent Teisseire, dans les faits, le pouvoir disciplinaire «est l’objet d’une délégation de compétence accordée par arrêté, poursuit-il. On ne peut conclure que le ministre de la Défense statue sur toutes les demandes de sanctions». Celles des «premier et deuxième groupes» relevant d’autorités gendarmiques «organiquement rattachées au ministère de l’Intérieur.» Selon Claude Guéant, «le nouveau rattachement ministériel n’a pas remis en cause le pouvoir disciplinaire dévolu au ministre de la Défense, tout comme d’ailleurs un certain nombre de compétences en matière de ressources humaines. Il ne s’agit donc pas d’un simple ‘symbole’.»

COMPÉTENCES DES INSPECTIONS GÉNÉRALES.

Comme le rappelle Didier Migaud, l’IGGN (Inspection générale de la gendarmerie nationale) «est compétente en ce qui concerne les personnes physiques (en termes de déontologie, d’enquêtes administratives et judiciaires) pour les formations de gendarmerie spécialisées» relevant toujours du ministère de la Défense, notamment la gendarmerie maritime, la gendarmerie de l’armement ou encore la gendarmerie de l’air. Selon lui, les modalités d’intervention de l’IGGN envers les personnes physiques pour ces formations spécialisées «devraient être précisées en prévoyant le lancement des procédures d’enquête et de commandement par un saisine conjointe du directeur général de la gendarmerie nationale et des autorités compétentes du ministère de la Défense»

En matière d’audit et d’inspection des services, «si, juridiquement, une compétence générale d’inspection est donnée à l’inspecteur général des armées-gendarmerie sur la gendarmerie, en réalité [ce dernier] n’intervient que sur les gendarmeries spécialisées et l’IGGN essentiellement sur les autres unités de gendarmerie, même si elle tente de mener, avec difficulté, des audits sur les gendarmeries spécialisées.» Ainsi, dans ce domaine, «la répartition des compétences entre l’IGGN, les inspections spécialisées et l’inspecteur général des armées-gendarmerie devrait être clarifiée.

Plus généralement, l’inspecteur général des armées-gendarmerie, rappelle Didier Migaud, dispense «chaque année écoute et conseils spécialisés à plusieurs centaines de gendarmes» et est «chargé d’instruire les ultimes recours hiérarchiques formés contre les décisions disciplinaires». Mais il est «en fait très peu saisi. Cette situation est insatisfaisante aussi bien sur le plan juridique qu’en terme d’organisation, puisque le ministre de la Défense peut ainsi réformer la décision d’un responsable placé sous l’autorité du ministère de l’Intérieur».

«L’inspecteur général des armées-gendarmerie et le chef de l’IGGN bénéficient d’une parfaite connaissance mutuelle et collaborent régulièrement de manière réactive et informelle, ce qui représente un gage d’efficacité dans le traitement en commun des affaires», fait notamment valoir Claude Guéant. «La formalisation des contacts […] ne conférerait pas une réelle plus-value aux travaux par ces deux officiers généraux et leurs services respectifs qui, nécessairement, se connaissent bien. La collaboration entre ces deux entités est néanmoins totale chaque fois qu’un dossier le justifie», appuie Laurent Teisseire.

RELATIONS IGPN-IGGN.

Didier Migaud souligne dans le référé adressé à Claude Guéant que, «de manière générale, les contacts bilatéraux entre [l’IGGN et l’IGPN] demeurent exceptionnels et résultent d’initiatives personnelles. Ces contacts devraient être davantage formalisés et les échanges d’informations et d’expériences encouragés.» Par ailleurs, «la communauté d’activités entre gendarmerie et police justifierait que des missions communes sur des thèmes relatifs à la sécurité soient plus souvent confiées à ces deux seules inspections.» Et le premier président de poursuivre: «Les échanges entre l’IGGN et l’IGPN en matière de déontologie devraient être intensifiés».

Le ministère de l’Intérieur indique, dans une annexe au courrier de Claude Guéant, que quatre missions ont été conduites par l’IGGN et l’IGGN pour les années 2010 et 2011. Ce type de missions correspond en effet «à des segments précis d’études ‘métier’ sur des thèmes partagés […]. La synergie existe en fonction des besoins lorsqu’ils se manifestent: exemple des audits sur la formation motocycliste, la formation au tir, le logiciel de rédaction de procédure ou l’information générale». Enfin, «les relations entre l’IGGN et l’IGPN, y compris dans le domaine de la déontologie, ne sont pas anecdotiques», note le ministère de l’Intérieur, qui indique par exemple que l’arrêté du 1er juin 2011 en matière de fouilles «a été rédigé conjointement par les deux inspections générales».

PROSPECTIVE.

La Cour des comptes juge «utile» une «coordination» de la programmation des études confiées au centre de recherches de la gendarmerie nationale» et de celles menées par la DPPSN (direction de la prospective et de la planification de la sécurité nationale) dans le référé adressé au ministre de l’Intérieur. Ce dernier rappelle, en réponse, la disparition de la DPPSN depuis le 1er septembre 2011. Par le passé, le secrétaire général du ministère et haut fonctionnaire de défense avait la charge de «l’animation de l’action stratégique du ministère [de l’Intérieur]. À cette époque, une répartition des rôles et des missions entre la DPPSN et la direction générale de la gendarmerie nationale permettait de coordonner l’action et les études du centre de recherches de la gendarmerie». Le décret du 23 août 2011 réorganisant notamment les activités de prospective «cite le haut fonctionnaire de défense, et ne fait plus référence aux missions de prospective ou de veille stratégique. Toutefois, la DGGN n’écarte pas la possibilité d’engager ses réflexions dans le cadre d’une vision prospective plus large et ministérielle».

ÉVALUATION DES COMMANDANTS DE RÉGION.

«Alors que sept inspections personnelles de commandants de régions ou d’autres centres de la gendarmerie nationales étaient programmées en 2010, une seule a été réalisée, essentiellement en raison de la charge de travail du chef de l’IGGN», qui est responsable de ces évaluations depuis 2010, relève Didier Migaud. «Cette faible réalisation devrait être améliorée, car l’évaluation formelle des cadres supérieurs est importante.» Réponse de Claude Guéant: «L’évaluation des cadres supérieurs de la gendarmerie est quotidienne et me paraît sous-estimée par la Cour.» Selon lui, «les commandants de région sont en effet reçus deux fois par an en entretien de gestion individuel, soit par le directeur général soit le major général, qui peuvent, par ailleurs, les rencontrer sur le terrain et évoquer des affaires».

Dépêche n°6555 aef.info Paris, mercredi 4 juillet 2012

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